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À Genève, un voyage vers l’espoir concernant

En création mondiale, la scène du Grand Théâtre de Genève offre un Voyage vers l'espoir du compositeur allemand , une œuvre intense dont on ne peut sortir indemne, inspirée du film éponyme du cinéaste suisse Xavier Koller oscarisé en 1991.


Le rideau tombe, la salle est dans le noir total. Tout juste si l'on perçoit encore deux discrets pizzicati des violoncelles. C'est la fin du spectacle. Pendant un temps, le silence impose sa loi dans le noir du théâtre. Quelques longues secondes se passent ainsi avant que retentissent les premiers applaudissements. D'abord timides puis, les lumières de la salle s'installant petit à petit, ils prennent de l'ampleur sans pour autant qu'on crie au délire. Puis les saluts aux chanteurs, au chef d'orchestre, à l'équipe du metteur en scène. Tous sont chaleureusement acclamés quand bien même on sent une certaine retenue. Entre enfin , le compositeur qui, incontestablement, reçoit la plus sensible des ovations. La relative gêne du public ne s'adresse pas véritablement au spectacle, à la musique ou aux artistes, mais à un sentiment d'être concernés par l'œuvre à laquelle il vient d'assister. Ce n'est pas à un opéra même s'il y a un livret, de la musique, des décors, des costumes et des chanteurs. La forme y est, certes, mais c'est un manifeste qui nous est donné de voir. Pas une revendication, pas une accusation, mais un manifeste à travers la démarche d'un homme à la recherche d'un espoir de vie plus enviable que celui qu'il a pu s'offrir et offrir aux siens.

C'est dans cette quête que toute la musique de ce Voyage vers l'espoir de nous convie. Oh ! bien sûr, il est un artiste, il est l'homme qui se montre, qui ose, qui monte sur la scène, qui crie, qui invective, qui gesticule, qui dans ses sonorités orchestrales parfois excessives mais toujours expressives veut exprimer ses colères, ses tristesses, ses rages mais qui, tout aussi soudainement, se laisse emporter par la symphonie de la nature qu'il distille si bonne devant la douleur, la cupidité et la méchanceté des hommes. Trois actes enchaînés sans interruption, sans entracte, de près de deux heures de musique avec une scène occupée tout le temps par des actions, des projections cinématographiques, une mise en tension du spectateur qui ne lui laisse aussi répit. C'est un peu la marque de fabrique du compositeur allemand.

Déjà en 2007, dans Vipern au Stadttheater de Berne la démarche musicale et scénique s'assimilait à celle que le Grand Théâtre de Genève a choisi. La première étape de cette aventure humaine se situe dans le rêve du «Paradis», cette terre promise, cet Eldorado, lieu de tous les espoirs vers lequel Haydar, le père rêve d'emmener sa femme et le cadet de ses enfants. Ayant abandonné à leur sort les deux ainés de ses enfants, n'ayant pour tout bagage le pécule de la vente de ses quelques biens, il entreprend la longue marche «Sur la route» du Kurdistan jusqu'en Suisse, là où, croit-il, se loge l'espoir d'une vie meilleure. Les premières désillusions l'assaillent lorsqu'il réalise que son argent ne suffit pas à payer les passeurs. Il entreprend alors de traverser «Les Alpes». Là, son enfant meurt d'épuisement. Haidar est arrêté par la police, interné avec pour ultime sentence l'accusation d'émigration illégale et d'homicide involontaire. Et à la question du policier : « Pourquoi êtes-vous venu ici ?» Haydar, le père répond : «J'avais de l'espoir.» Ce à quoi le policier rétorque : «En quoi ?»

Dans sa mise en scène, le cinéaste hongrois raconte bien le contenu du livret. Il complète le jeu scénique avec la projection de scènes parallèles, gros plans, regards, foules se déplaçant sur les routes de l'exil. Des images parfois encombrantes, dérangeantes et voyeuristes cependant toujours en accord avec l'action scénique. Sa direction d'acteurs est efficace quand bien même on peut ne pas apprécier l'irruption de cinéastes caméra au poing filmant les protagonistes en gros plan. Tout comme ces quelques machinistes actionnant du bord du décor leurs machines à brouillard.

Vocalement, on aurait aimé des interprétations plus nuancées ainsi qu'un soin plus approprié de la diction. En particulier avec le baryton (Haydar, le père) chantant avec force au point qu'il exprime la douleur, la peine sur le même ton que la tristesse ou le désespoir. A ses côtés, la soprano (Meryem, la mère), quoique plus attentive aux nuances, s'embourbe aussi dans le chant d'expression française. Quant à l'enfant (Ali, le petit enfant), sa voix souvent trop fluette questionne sur l'opportunité d'attribuer un rôle aussi important, et peut-être pas trop bien musicalement écrit, à un aussi jeune chanteur. Les autres protagonistes sont à la hauteur des enjeux théâtraux et s'affirment en acteurs responsables et soucieux du bien-faire. On apprécie le soleil dans la voix du ténor (Un paysan), l'éclat dans celle du ténor (Haci Baba, le mafieux), la beauté du timbre et l'implacabilité du français dans celle du baryton Ivan Thirion (Matteo, le chauffeur routier), tout comme la belle largeur de celle de la soprano colombienne (Une médecin) sans oublier l'impressionnante basse de (Un policier).

Dans la fosse, l' s'approprie avec talent de la partition complexe et variée de Christian Jost affirmant au passage l'excellence des percussions largement mises à contribution. Artisan musical de l'orchestre et du plateau, le chef allemand brille par son engagement total à l'expression des climats allant du tragique au lyrique sans jamais oublier la richesses des couleurs orchestrales.

Dans la gravité du sujet abordé dans cette œuvre, reviennent en mémoire de votre serviteur, les mots que le metteur en scène Francisco Negrin qui affirmait que «l'opéra n'est pas là pour changer les gens mais pour les faire réfléchir !» Et c'est bien dans cet esprit que cette œuvre a toute sa place dans le répertoire. Peut-être fera-t-elle même date comme la photographie du petit Aylan retrouvé mort sur une plage de Turquie en septembre 2015 qui, alors, avait ému le monde entier !

Crédit photographique : GTG © Gregory Batardon

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