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Conjonction inaboutie dans les Schumann par Beatrice Rana et Yannick Nézet-Séguin

et proposent, pour leur première collaboration au disque, le couplage inédit – et très risqué – des concerti pour piano du couple Schumann.

En guise de texte de présentation, une longue interview des artistes insiste d'une part sur les prétendues importance et originalité du Concerto opus 7 (1833- révisé en 1835) de Clara Wieck, future Madame Schumann, composé à l'âge de quatorze ans – et sur l'ascendant mental et psychologique que la jeune fille aurait pris sur son époux, lors de la conception en deux étapes, de son Concerto opus 54. Voire !

A vrai dire, en dehors de leur tonalité commune de la mineur, les deux œuvres ont peu en commun, sinon peut être d'avoir été au départ envisagé comme des Konzertstücke… L'alla polacca (final) fut d'abord composé isolément par Clara, alors que la version première, différente par moult détails de l'opus 54 de Robert se limitait à une fantaisie pour piano et orchestre, mutée par la suite en allegro de concerto.

Soyons clair ! L'opus 7 de Clara ne dépasse pas l'intérêt purement documentaire : conçu comme un enchainement de trois brefs mouvements (pour à peine vingt minutes de musique), il nous vaut un allegro liminaire lilliputien, d'allure quasi militaire s'enchainant sans grande cohérence avec un mouvement lent chambriste – un simple duo pour violoncelle piano qu'il serait assez risqué de comparer, comme le font les artistes au fil de l'interview, à son homologue brahmsien (opus 83) d'une tout autre hauteur de vue – et ce final, plus intéressant sur le plan de la dialectique d'opposition entre soliste et masse orchestrale, assez pauvrement sollicitée jusqu'alors. Mais nous sommes très en deçà à la fois des premiers essais romantiques germaniques du genre (Mendelssohn, ou même Weber), voire même de l'inspiration des œuvres de maturité de Clara (trio opus 17, romances opus 22).

C'est pourtant, et de loin, le meilleur moment de ce disque : y fait montre à la fois d'une énergie débordante et d'une musicalité très spontanée, par un inébranlable sens de la couleur et du phrasé, guidé par un usage parcimonieux mais intelligent de la pédale. lui apporte le soutien attendu, notamment au cours d'un final brillantissime, où l'orchestre répond avec punch et cohérence à la soliste. La pochette aurait dû mentionner le nom du violoncelliste soliste lequel s'acquitte avec poésie et brio de sa courte mais éloquente intervention. Bref, au sein d'une discographie plutôt mince, voici la version de référence … d'une œuvre très secondaire.

Tout se gâte au fil du concerto de Robert… Certes, il y a ce recours à la nouvelle édition critique, qui nous vaut quelques menues surprises : le trait de clarinette du second groupe thématique du premier mouvement est arpégé et non tenu, la cellule de quatre notes génératrices de l'intermezzo est diversement phrasée (lourée, liée ou détachée, selon les indications du manuscrit). Mais précisément, la direction analytique de , relève de l'observance presque maniaque des moindres détails de la partition plus que d'une vision d'ensemble, globale et architecturée, par le manque de cohérence même des tempi (les retours stricts a tempo du premier temps sont, pour le moins, assez lâches, par exemple à la mesure 366) ou des répliques (le pupitre de violoncelles dans la partie médiane de l'intermezzo). Et l'on a connu un Orchestre de chambre d'Europe à la fois mieux sonnant, plus concerné et cohérent dans sa personnalité sonore. Cela nous vaut un premier temps invertébré, s'étalant sur plus de seize minutes, et un final souvent brouillon et précipité dans son articulation et ses nombreuses mutations rythmiques peu assumées (les nombreuses hémioles !). apparaît tout aussi peu à l'aise, tour à tour assez désordonnée dans son emportement fébrile et téléphoné, ou affectée dans ses phrasés, notamment au court d'une interminable cadence du premier temps, bien inutilement sentimentalisée, trop Eusébius et pas assez Florestan. Ce maniérisme déjà parfois perceptible dans le dernier récital Chopin de la pianiste italienne, affecte d'avantage encore le final qui nous aura rarement paru aussi déliquescent ou interminable dans ses redites parfois textuelles. La conjonction chef-soliste n'est pas non plus optimale dans les options de tempi et de phrasés. Bref, voici un enregistrement assez pâle et inutile au sein d'une discographie pléthorique. Qui veut connaître le concerto de Schumann par le même orchestre, se rabattra sur l'électrisante rencontre de et voici trente ans (Warner), véritable union fusionnelle de l'eau et du feu.

La transcription par Liszt de Widmung, lied opus 25 n°1 –le premier du cycle des Myrten– nous permet de retrouver une Beatrice Rana à son meilleur, bien plus concernée, totalement désinhibée, directe et totale musicienne dans la lignée de ses premiers disques, notamment de son fantastique récital Ravel-Stravinsky (Clef ResMusica). Ce, même si le minutage global du disque reste bien pingre : il y avait largement la place pour l'un des deux « Introduction et Allegro » pour piano et orchestre de – l'opus 92, relativement fréquenté, et surtout le bien plus rare, méconnu et sépulcral opus 134.

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