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L’art subtil de la variation par Cédric Tiberghien

Les récitals de sont toujours composés sur un thème, parfois autour d'une œuvre pierre angulaire du programme. C'est l'art de la variation qu'il a choisi de présenter au Théâtre des Champs-Élysées, avec trois pièces maîtresses de Bach, Mozart et Beethoven.

peut se réjouir de voir une salle bien garnie lorsqu'il arrive sur scène et présente micro à la main, son récital. Il explique avec des mots simples, la voix claire, cet objet musical qu'est le thème varié, comme regardé sous différents angles et éclairages. Chacune des trois œuvres qu'il a choisies sont ainsi précédées de quelques clés d'écoute. La Chaconne de la Partita n°2 pour violon seul BWV 1004 de trouve dans sa transcription de son alter ego pianistique, d'autant plus qu'elle est jouée uniquement par la main gauche, celle dont les doigts parcourent les cordes du violon, donnant à Brahms cette « impression d'être violoniste ». Et cette main gauche que nous entendons est éminemment expressive, timbrant du pouce le chant notamment dans le médium et le grave, comme s'il en était d'une voix ronde et profonde, conduisant chaque ligne du thème et de ses variations dans un legato parfait, usant d'un fondu sonore dans certains pianissimi ne nuisant en rien à la clarté du texte musical. Aucune arrête vive dans sa noble éloquence, la musique se déploie sans hausser le ton, intimiste par moments, mais dans la plénitude du son, sa vibration qui gagne la lumière, tout en laissant un sentiment d'intense présence. 

A la différence de la Chaconne dont les variations se succèdent en un flux continu, celles de la Sonate pour piano n°11 en la majeur K.331 de apparaissent comme autant de miniatures que le pianiste cisèle avec tact et tendresse. Depuis le bercement du thème, il s'attache à en choyer chaque note, rehaussant les reprises par des inflexions nouvelles, des phrasés subtilement soulignés. Quel souci du détail, quel beau fini des phrases jusqu'à leur dernière note, leur dernier soupir ! La sixième variation est remarquable de vivacité et de fraîcheur, la main gauche très active sous la volubile main droite, et le Trio très chanté du Menuetto charme par sa simplicité, sa douceur presque bucolique, laissant entendre des personnages d'opéra chantant par deux, puis trois. Le dernier mouvement Alla Turca est un vrai allegretto, pas trop rapide, il respire et rebondit joyeusement tout en fantaisie et en candeur. 

Puis voici présenté le « cœur du programme » : les Variations Eroica op.35 de , dont le pianiste salue le génie improvisateur et l'imagination sans limites axée sur le travail du matériau musical. Ce matériau c'est au départ un thème à la basse fait de deux notes « toutes bêtes » formant enchainement cadentiel : mi bémol-si bémol et inversement, sur lesquelles le compositeur bâtit quinze variations et une fugue. À partir de ces notes, Tiberghien incruste sa main gauche dans le clavier, fondation sur laquelle il élève ce grand polyptyque en y mettant tout ce qu'il faut de couleurs, de contrastes, d'esprit, et sa belle technique au service d'une pensée musicale qui ne perd pas de vue la construction d'ensemble. Pétillante ou évanescente, la musique flamboie et vibre jusque dans ses silences, dans la grâce des gruppetti, dans la lumière des trilles. 

En bis, le si bémol persiste avec les Oiseaux tristes de qu'il joue très paisible, très nocturne, dans une palette de mille nuances allant de pianissimo à piano, jusqu'à la limite de l'audible, comme un impalpable rêve.

Crédits photographiques © Jean-Baptiste Millot © Frances Marshall 

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