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Lars Vogt, Tanja et Christian Tetzlaff bouleversants dans le dernier Schubert

Véritable chant du cygne, ce dernier enregistrement de accompagné de Tanja et , constitue une nouvelle poignante et douloureuse référence dans les Trios avec piano de Schubert. In memoriam.

Cet album prend bien évidemment une dimension particulière lorsque l'on sait que le pianiste , décédé le 5 septembre 2022, a débuté cet enregistrement des deux Trios avec piano op. 99 et op. 100, du Nocturne op. 148, du Rondo pour violon et piano et de la Sonate « Arpeggione », contre avis médical, alors qu'il était déjà sous traitement et se savait probablement condamné… Il n'est pas hasardeux non plus de penser que c'est délibérément que le pianiste allemand a choisi ces dernières œuvres de Schubert où la mort rôde… Composés fin 1827-1828, juste avant la mort du compositeur et probablement l'un à la suite de l'autre, les deux grands Trios avec piano opus 99 et opus 100, sont tout à la fois le même, par ce mélange typiquement schubertien de joie et de tristesse, et l'autre, par leur climat dissemblable, plus lumineux et lyrique pour l'opus 99, plus sombre pour l'opus 100.

et ses amis nous en livrent une interprétation mémorable comme suspendue entre ciel et terre, faite d'équilibre, de subtilité, de couleurs et de superbes nuances, portée par une écoute complice et une expressivité dont l'éloquence donne forme à l'indicible et force l'admiration. On admire sans réserve l'allegro lyrique et contrasté du Trio n° 1, son andante mélancolique et rêveur, son scherzo malicieux et bondissant, autant que son rondo final jubilatoire et résolu. Et on souscrit aussi totalement à l'ambiguïté palpable du Trio n°2 hésitant entre révolte et plainte déchirante dans l'allegro, bientôt suivi de la mélodie hypnotique et élégiaque de l'andante, précédant elle-même un scherzo dansant d'où sourd une fragrance de résignation, avant un final aux parfums de fête forcée, hanté par la résurgence du lugubre thème de l'andante, chanté par le violoncelle, comme une menace.

Contemporain des deux trios, le Nocturne op. 148 (1827) conclut cette progression dramatique dans une interprétation à vous tirer les larmes où la désolation acceptée cède progressivement le pas, après quelques sursauts, à une apaisante quiétude.

Deux œuvres en duo complètent ce copieux double album : le Rondo D 895 (1826) pour violon et piano et la Sonate « Arpeggione » (1824) pour violoncelle et piano. Le premier donne libre cours à la virtuosité et à la complicité de et de Lars Vogt. La seconde, plus consistante, permet de gouter l'impressionnante digitalité de et à la belle sonorité de son violoncelle Giovanni Baptista Guadagnini de 1776 dans une lecture à la fois lyrique et tendue d'un charme envoûtant.

Rien d'hagiographique, ni de pathétique dans cette élogieuse chronique mais simplement un constat fait par Lars Vogt lui-même à la fin de l'enregistrement : « J'ai un peu l'impression que tout dans ma vie s'est développé vers cet opus 100… s'il ne reste pas beaucoup de temps, alors c'est un adieu digne » et sans doute beaucoup plus que ça… un legs magistral !

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