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La vitalité des sons avec Elżbieta Sikora

2023 est une année anniversaire pour la compositrice franco-polonaise dont les trois concertos gravés dans ce nouveau CD monographique rendent compte de la vitalité de son travail dans tous les domaines de la création sonore.

Soulignons d'abord l'importance des deux pôles autour desquels s'élabore son travail de composition : l'univers électronique, d'une part, qu'elle aborde tôt dans sa formation et qui lui donne cette proximité avec le matériau que l'on ressent si fort dans sa musique instrumentale ; le monde de l'écrit d'autre part, et son attachement à une expressivité voire un certain expressionnisme hérités de l'école polonaise, Sikora ayant travaillé dans son pays d'origine avec les plus grands maîtres de l'époque qu'étaient Tadeusz Baird et Zbigniew Rudzinski.

Relativement récents, les trois concertos de cet enregistrement (pour piano, violon et orgue) couvrent presque vingt ans de création, sachant qu'il existe aujourd'hui un second concerto pour orgue écrit en 2022.

Le Concerto pour piano, « hommage à Frédéric Chopin » (2000), est la pièce la plus ancienne de l'album, conçue en quatre mouvements. La « mise à feu » inaugurale et le trille du piano, en tant que force énergétique et agent de tension, instaurent le climat d'urgence qui règne dans le premier mouvement. Le piano (Adam Koṡmieja exemplaire) y est le plus souvent percussif, rejoint et amplifié par les sonorités de l'orchestre (col legno des cordes, crépitement des vents, etc.). La manière est guerrière et le discours très offensif, marqué de brusques ruptures, aussi brèves que bienvenues pour dénouer les tensions avant de réamorcer le mouvement. Pas de cadence proprement dite dans ce maelström organique où les deux factions restent très solidaires. Plus économe mais porté par un processus d'amplification, le deuxième mouvement est traversé de la même figure pianistique (balancement d'intervalles) sur laquelle s'inscrivent les timbres solistes. Dans le mouvement suivant, le piano est au centre de l'arène, joué en notes répétées, une manière de tenir fermement les rênes du discours de ce scherzo fulgurant avant le finale musclé, synthèse de tous les moyens déployés précédemment. Le clin d'œil à Chopin n'arrive que dans les dernières minutes avec ce trait virtuose en octaves aux deux mains tenant lieu de cadence. Le y est incandescent, que dirige de main ferme le chef libano-polonais .

S'agissant du rapport entre soliste et orchestre, procède dans son Concerto pour orgue (écrit en 2007 et révisé en 2020) comme dans le Concerto pour piano : en liant les sonorités de l'orgue () à celles de l'orchestre pour créer un méta-instrument d'une puissance décuplée qui sert sa boulimie de timbres et la manière musclée de son écriture. Le début est virevoltant, boosté par cette énergie cinétique qui habite le geste sikorien. Les deux univers s'interpénètrent dans un premier mouvement entretenant la jouissance sonore du plein-jeu quand de brusques filtrages de la matière sonore ramènent une certaine transparence. Dominé par la clarté glaçante du xylophone, le second mouvement fait attendre l'entrée de l'orgue dont l'écriture louvoie entre traits volubiles et nappes texturées. L'ambiguïté des sources y est recherchée dans un flux nourri par l'apport des deux entités sonores. Le troisième mouvement est lancé par un court motif descendant qui canalise le discours, accueillant les propositions de l'orgue comme celles des pupitres instrumentaux (cuivres et percussion en dehors), le tout fermement conduit par dont on ressent l'efficacité de la direction. La cadence arrive au mitan de l'œuvre, superbe page d'orgue où la compositrice sculpte son matériau et modèle ses morphologies comme elle le fait au sein de l'orchestre. L'imaginaire sonore est à l'œuvre dans une pièce où la soliste et l'orchestre philharmonique du NFM Wrocław assument tous les risques de l'écriture.

On ne saurait dire, à la seule écoute, d'où provient, du soliste ou du pupitre des violons, la stridulation entendue au tout début du Concerto de violon (2018), la partition la plus récente de cet enregistrement qui nous tient en haleine de bout en bout. On y retrouve les grandes trajectoires ascendantes et descendantes balayant tout le registre de l'instrument soliste, ligne tendue souvent en trémolo, rejointe et amplifiée par celle du xylophone et autres lames de bois aux sonorités acidulées. Le violon (magnifique ) est virtuose, dont certains comportements puisent dans le grand répertoire sans jamais le citer pour autant. Sa sonorité est irradiante et la toile orchestrale finement texturée dans le deuxième mouvement. Pas de répit cependant pour une partie soliste toujours très exigeante, au tracé sinueux et accidenté. Le violon est pugnace et belliqueux, furioso et tremolando, dans un finale à haute tension où c'est lui qui conduit le discours à côté d'un orchestre très réactif. Des citations fugaces ramènent ça et là la consonance avant la cadence somptueuse concédée à mi-parcours. Sans franchir les limites du jeu traditionnel, Sikora fait valoir la dimension plastique d'une matière qu'elle soumet à son désir. Dans les dernières minutes de l'œuvre, le jeu en double cordes du violon porté par l'orchestre regarde vers les fulgurances du Concerto à la mémoire d'un ange de Berg. Au côté de , l' dirigé par le chef brésilien révèlent l'œuvre dans la plénitude de son écriture.

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