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Séquence Danse au 104 : Ballets d’Opéras, d’Avignon à Lyon

Dans le cadre de son festival « Séquence danse », le CentQuatre Paris n'a pas oublié de convier le Ballet de l'Opéra Grand Avignon, dirigé depuis septembre 2021 par l'italien et de programmer une soirée de trois pièces du répertoire du , dont la direction sera bientôt confiée à Cédric Andrieux.

Ballet de l'Opéra Grand Avignon : Storm

Il est toujours agréable de redécouvrir une compagnie de ballet d'Opéra, composée d'une vraie troupe de danseurs permanents. Cela permet de voir ainsi son état d'esprit et sa qualité. Pour cette première création avec sa nouvelle compagnie, l'ancien danseur de chez Preljocaj a privilégié une œuvre rassembleuse, à mi-chemin entre des techniques classique et contemporaine. Nommé pour y apporter un vent de style contemporain, Calcagno a pris au mot ce cahier des charges en mettant ses quatorze danseurs aux prises avec… sept énormes ventilateurs pour cette pièce nommée Storm. Une démarche pas vraiment éco-responsable, mais qui devait développer la curiosité du geste entravé par le vent. Cela se révèlera finalement une démarche plus secondaire qu'annoncée, tant les ventilos se mettent en marche avec force sur le dernier tableau.

Entre temps, on aura vu de belles successions d'images, avec des danseurs portant des costumes (ce qui manque souvent, dans la création contemporaine) issus des panières de l'Opéra Grand Avignon. Fraise XVᵉ, boléros espagnols, culottes de cour, costumes noirs, l'ensemble est hétéroclite et vivant. La danse joue sur le beau niveau technique des danseurs, pour la plupart issus d'une formation classique, et rôdés au travail d'ensemble. Les filles, dans une séquence de défilé sur pointes, slip noir sur veste de costume noir, ont fière allure. Les garçons ont de belle personnalité et le tout forme une œuvre d'une heure qui se déroule à un rythme enthousiasmant, malgré la trop lente mise en place du début. A voir début juillet à La Scala à Avignon, dans le cadre du festival Off, ainsi que deux créations d'Hervé Koubi et Edouard Hue pour le Ballet de l'Opéra Grand Avignon.

: triple programme

Le triple programme du s'ouvre par une œuvre de , Beast Poem crée pour la compagnie en 2022. Le rideau se lève sur onze danseurs dont on ne perçoit bien que les avant-bras, le reste des corps étant plongés dans une certaine obscurité. Ces avant-bras vont se mettre à se mouvoir, chercher les autres, chuter, remonter, s'entraider. Il y a de la douceur dans ces échanges très humains, malgré la non-émotion qui se dégage des danseurs. Ils évoluent sur une voix humaine, qui déclame un poème en arabe dont on aurait aimé connaître le sens. Autour de cette belle voix féminine monte peu à peu une clameur, celle de spectateurs d'un match ou plus certainement de manifestants en pleine rue. On comprend alors le poids de ce collectif humain, où la fraternité est de mise. Surtout lorsque reste, au milieu du plateau, immobile, une femme qui bouge néanmoins, si lentement, sur elle-même que l'on ne voit parfois plus le visage. Comme si chaque humain avait droit à rester soi, unique dans le collectif humain. La pièce, délicate et sobre, a quelque chose d'hypnotique et émouvant.


Les bras sont décidément à l'honneur dans ce programme avec N.N.N.N, étonnant exercice de style crée en 2002 pour quatre danseurs masculins et signé . Les quatre garçons (anonymisés par les quatre N. du titre du ballet) partent à la recherche de leur main, puis la trouvent chez l'autre, et tout se déroule dans un grand jeu de coordination des corps. L'un prend avec force le bras de l'autre, qu'il fait chuter, et c'est au tour de cet autre de tirer le membre d'un troisième, etc… Tout cela va très vite, et il s'agit d'être à l'écoute permanente de son partenaire. D'autant que la musique ne peut les aider, puisqu'elle n'existe pas. Le seul son de leur souffle (dont l'unisson s'avère nécessaire) peut les guider dans le timing de ce grand jeu où il s'agit, du coup, d'écouter la danse. On comprend bien le sous-texte de Forsythe : dans la danse, il faut faire confiance, écouter le poids de son corps pour en mesurer la contrainte qu'il exerce sur son partenaire, être passif et actif à la fois.

On imagine bien la joie de ce jeu pour les danseurs. Mais on n'en ressent guère les effets, tant cette mécanique s'avère sans émotion. Plus qu'une œuvre, on y voit davantage le fruit d'un exercice que donnerait un professeur de stage. Plus ennuyeux encore, on ne discerne à aucun moment le style Forsythe, dont le caractère anguleux et les différences de rythmes, entre calme et reprises ne se voit jamais. On défie quiconque de deviner ici qu'il s'agit bien d'une œuvre de Forsythe, tant elle est dansée sans nuances et dans un simple esprit de danse contact. Un quatuor de garçons simplement athlétiques permet-il de se faire une idée de ce que fût le style Forsythe ? Pas sûr, et l'on regrette que le Ballet de l'Opéra de Lyon, qui a les moyens de ses effectifs et de son niveau technique, ne plonge pas davantage dans l'esprit de la grande époque Forsythe, du temps de son ballet de Francfort.

On s'y retrouve un peu mieux avec One Flat Thing, reproduced, troisième et dernière pièce à l'affiche de ce programme, entrée au répertoire du Ballet de l'Opéra de Lyon en 2004. Crée en 2000 pour sa Forsythe Company, l'œuvre nous montre quatorze danseurs aux prises avec vingt tables de belle taille, toutes bien alignées. Dès lors s'engage une vraie lutte entre les corps et la matière, où les danseurs grimpent sur la table, glissent dessus, s'engouffrent en dessous, y pointent une jambe vengeresse tel un sauteur de haies… Le corps à corps se fait à toute vitesse, les danseurs s'entraident ou se repoussent avec force, aidés par les rythmes obsédants de Thom Willems, le compositeur fétiche de Forsythe. Tout cela n'a pas d'histoire. Quoi que. Il est dit que Forsythe aurait été inspiré pour cette œuvre par la découverte du Plateau polaire du Pôle Sud par l'explorateur Robert Scott en 1903. Le lien ? Comme les explorateurs, les danseurs doivent être solidaires, et affronter des milieux hostiles. En l'occurrence, une table qui obstrue leur passage.
Cette pièce de 2000 qui a fait le tour du monde (du Pacific Northwest Ballet à Zürich en passant par Dresden, La Haye ou Lyon…) a vu peut être son interprétation la plus passionnante par le prisme de la caméra de Thierry de Mey, et dansé par la Forsythe Company.

Crédits photographiquess : Storm © Mikael et Cédric Studio Delestrade ; Beast Poem © Charlène Bergeat ; NNNN-Forsythe © Agathe Poupeney ; One Flat Thing, reproduced © AgathePoupeney

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