Dans le beau décor style péplum du Théâtre Libre, la compagnie Carolyn Carlson présente pour quinze représentations Crossroads to Synchronicity, pièce revisitée en 2017 à partir d'une création de 2012. Une plongée sensible dans l'imaginaire américain.
Désormais académicienne, Carolyn Carlson s'attache à faire revivre et découvrir son répertoire – et surtout à le transmettre. Synchronicity a été créé en 2012, alors que Carolyn Carlson était directrice du Centre chorégraphique national de Roubaix – Ballet du Nord. En 2017 elle remettait l'ouvrage sur le métier pour une nouvelle version de ce « road ballet » pour trois danseurs et trois danseuses, désormais baptisé Crossroads to Synchronicity.
Les interprètes, dont certains accompagnent la chorégraphe depuis plus de 20 ans, sont la richesse du spectacle présenté au Théâtre Libre. Leur expérience, leur sensibilité, donne corps aux personnages qui se croisent, s'aiment ou se délaissent dans une ambiance très cinématographique qui n'est pas sans évoquer certaines œuvres de Pina Bausch ou Mats Ek. Le danseur Juha Marsalo, par exemple, artiste associé de la chorégraphe pendant plusieurs années, Céline Maufroid, issue du Ballet du Nord, ou Isida Micani à qui Carlson a confié son célèbre solo Density 21,5. Avec leur expérience, tous apportent de l'épaisseur à ce sextuor mystérieux, où les portes s'ouvrent vers un ailleurs, où brasero, pneus ou baignoire de zinc nous projettent dans l'Amérique de la crise économique et de la précarité.
Alternant scènes théâtrales et duos ou trios dupliqués à l'unisson, le ballet change d'atmosphère comme de costumes. Tantôt noir comme un polar, tantôt lumineux, comme l'espoir d'un monde meilleur. Ces atmosphères nostalgiques et brumeuses, très modianesques, sont illustrées par une bande-son qui va des minimalistes John Adams et Gavin Bryars aux songwriters Tom Waits, Bob Dylan ou Bruce Springsteen. Un savoureux melting pot qui s'anime de bruits de locomotives, de portes qui grincent et de chuchotements fantomatiques.
La danse si caractéristique de Carolyn Carlson avec ses long bras jetés vers l'avant, ses élans et ses brusques accélérations, se donne toute entière, avec engagement et énergie. La chorégraphe recherche cependant moins la stylisation que dans ses ballets emblématiques comme Signes, que l'on a revu récemment à l'Opéra Bastille. Des séquences filmées au ralenti par la chorégraphe à l'époque de la création, projetées dans une temporalité différente sur un cadre suspendu dans les cintres, apportent ce supplément d'âme saisissant à la pièce et renforcent son intensité.