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Les voix de femmes dansent avec Voice Noise de Jan Martens

électrisait déjà la Maison de la Danse à Lyon en 2022 avec Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones. C'est de nouveau partie remise avec la première française de sa nouvelle pièce, Voice Noise.

La pièce est inspirée de l'essai d'Anne Carson, The Gender of sound, qui montre à quel point les voix des femmes ont été dépréciées depuis au moins Sophocle (« le silence est le cosmos de la femme »), hystérisées, méconnues, raillées, tues. Sept interprètes aussi talentueux qu'atypiques improvisent, sonnent, tonnent, donnent, dans le plan géométriquement graphique du maître flamand, se répondant. Les treize voix féminines d'une bande-son hors compétition rendent hommage à l'inouïe tessiture du féminin.

Chaque danseur se présente à partir du même discours au sujet cette petite fille qui se rebelle, dans sa langue, posément, avec sa voix. Il s'agit ici de dire a capella au micro les paroles du groupe The Raincoats, No One's Little Girl. En clair « je ne suis la petite fille de personne » et ne le serai jamais. Chaque danseur, fort de l'existence de chacun des autres danseurs, a un solo magique. Mamadou Wagué, par exemple, déroule ses bras et jambes infinis, en un solo inspiré sur Debby Friday. Il y a une grâce infinie dans cette envolée vers la voix d'une femme, avec toute sa virilité de liane animée par un esprit aussi haut en couleur que délicat ; nous l'avions déjà admirée dans Mystery sonatas d'Anne Teresa de Keersmaeker, l'an passé sur le même plateau. Mamadou Wagué comme sa comparse et superbe Sue-Yeoun Youn, tout aussi incroyable en son solo, se sont rencontrés en Belgique chez PARTS.

Cette soirée nous permet d'assister à une prouesse réconfortante qui donne envie de porter haut la voix que chaque être prêt à vivre sa différence au sein d'une société parfois sclérosée par des diktats mortifères. Comme l'écrit Anne Carson, que chorégraphie à merveille ici : « When it is not locked, the mouth may gape open and let out unspeakable things », que nous traduirions librement par : « si elle n'était pas fermée à double tour, notre bouche pourrait s'ouvrir largement, et laisser sortir d'indicibles choses. ». Pari tenu. Le final sur le chant de résistance « Bella Ciao » (anonyme) en dit aussi long qu'un discours : Dansons tant qu'il est temps, portons hautes nos voix libérées.

Crédits photographiques : photo 1 © Phile Deprez  ; photo 2 © Klaartje Lambrechts

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