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Mignon à Bâle : un extraterrestre sur la Terre

L'opéra qui apporta la célébrité à offre une vitrine de choix aux jeunes chanteurs du studio d'opéra OperAvenir du Theater Basel.


« Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d' », aime-t-on à sourire avec Emmanuel Chabrier. N'empêche : la dix-septième tentative lyrique du compositeur français, juste avant Hamlet, fut la bonne. D'abord rejetée à la création en 1866 à cause de sa fin tragique, Mignon connut le succès (1 000 représentations du vivant de Thomas !) une fois cette dernière corrigée à toute fin heureuse par le mariage de ses deux héros. Néanmoins, pour l'Allemagne, Thomas conçut un fin plus respectueuse du roman Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe dont il était l'adaptation. C'est cette version assurément plus troublante, avec les récitatifs mis en musique, que Bâle a décidé de mettre en scène dans une orchestration révisée par Paul Leonard Schäffer pour quatorze instrumentistes du , que dirige avec probité à même le plateau le chef brésilien Helio Vida. Abrégée d'environ trois quarts d'heure (exit le chœur), la facture très intimiste du spectacle s'épanouit sans peine sur la Kleine Bühne du Theater Basel, une petite salle que l'on découvre lovée contre la Grosse Bühne.

Sous-titré « Quête identitaire romantique », ce nouveau Mignon ne craint pas d'emboîter le pas de La Bohème stellaire de Claus Guth. Présentée comme androgyne par Goethe, voilà Mignon carrément travestie en extraterrestre par le metteur en scène luxembourgeois . Une Mignon qui, après avoir vu son vaisseau spatial forcé à l'atterrissage sur la Planète Bleue (Jarno, le commandant de bord, est très mal en point), tente de communiquer avec Lothario, son père, lui aussi « lost in translation » dans cet espace où personne ne l'entend chanter. Mignon croise la route de terriens en piteux état : les comédiens Laërte et Philine, ainsi qu'un certain Wilhelm Meister, tous en proie à une quête amoureuse complexifiée, par l'éco-anxiété du moment. Longuement fascinée par le beau Wilhelm, dont l'ambiguïté amoureuse ne laissera pas de la malmener, Mignon finira par retrouver Lothario qui lui fera quitter cette Terre post-apocalyptique finalement peu vivable. Elle sera donc privée de la fin heureuse qui séduisit la France bourgeoise du XIXᵉ : une fin mélancolique certes, mais, dans un tel contexte, plus porteuse d'espoir pour l'héroïne.


Dramaturgie, moyens… : on est aux antipodes de la très esthétisante production de Vincent Boussard à Liège en 2022. Le sol est carbonisé comme dans La Flûte enchantée de David Lescot à Dijon. Les costumes distinguent le monde des extraterrestres (combinaisons vaporeuses surmontées de crânes mi-ras) de celui des humains (guenilles pour Philine et Laërte, tenue sportive fatiguée pour Wilhelm). Passé un début plein d'espoir où, par un très intrigant tour de passe-passe vidéographique, une sorte de neige stellaire venue du fond de l'espace cosmique nous fait passer du cosmos à la Terre, les effets de mise en scène comme de lumière sont parcimonieux.

Le spectacle sert surtout à offrir sur un plateau des rôles de premiers plans (l'œuvre, très exigeante, est sur ce plan des plus généreuses) à de jeunes solistes déjà repérés dans moult productions bâloises, dont, en 2022, un très décoiffant Barbier de Séville. Ainsi , ténor dont la ligne claire peut se déployer sur la durée. Ainsi , dont le soprano affûté fait des étincelles sur Je suis Titania la blonde. L'un comme l'autre font de surcroît montre d'une impeccable diction française. On en dira autant de la Mignon de , dont les moyens lui permettent de composer un personnage de plus en plus attachant, de l'élégiaque Connais-tu le pays aux fureurs jalouses de Elle est là, près de lui. Le Wilhelm Meister de , un peu corseté dans l'aigu, atteint en revanche des sommets dans tous les numéros où l'émotion doit gagner le cœur du spectateur. Pas plus que le Jarno sans histoire de dont le rôle est très ténu (il meurt assez vite), ne connaît aucun problème dans le rôle, assez bref lui aussi, de Frédéric, sorte de Chewbacca revu en émoticône sur pattes. Seul le Lothario tendu de Jasin Rammal-Rykała, peut-être en méforme passagère, semble courir après la justesse. La très grande (et assez redoutable) proximité salle-scène donne plus d'une fois l'impression que les moyens de la plupart des chanteurs sont surdimensionnés, ce qui peut constituer au final une excellente nouvelle pour la plupart des interprètes, à l'évidence dorénavant trop à l'étroit dans les murs de la Kleine Bühne du Theater Basel.

Crédits photographiques : © Ingo Höhn

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