Le Septième Art manquerait-il d'imagination ? Sort en 2025 Un parfait inconnu, le film de James Mangold, alors que LE film sur Bob Dylan a déjà été réalisé en 2007 par Todd Haynes.
La France, assez peu regardante quant à l'infiltration anglo-saxone de son dictionnaire, a depuis quelque temps déjà adopté le terme de « biopic » pour définir les films racontant tout ou partie de la vie de personnes célèbres ayant réellement existé. Un genre cinématographique à part entière donc, dont les avatars se succédant avec une régularité assez manifeste en ce début de siècle recueillent généralement un succès le plus souvent inversement proportionnel à leur inspiration filmique. Force est de reconnaître que les réussites inscrites au Panthéon de l'histoire du cinéma ne sont pas légions, la palme revenant pour le versant musical à Ken Russell (The Music Lovers), Milos Forman (Amadeus), Todd Haynes (I'm not there), Kirill Serebrennikov (Leto), Mathieu Amalric (Barbara). A chaque fois de grands réalisateurs.
I'm not there (Je ne suis pas là) fut d'emblée LE film sur Bob Dylan, dont le pari fou (saisir la personnalité protéiforme du chanteur par six acteurs différents) fut parfaitement concrétisé par la grâce d'une réalisation d'une inventivité folle, le plus spectaculaire restant l'interprétation ultra-crédible de Bob Dylan par… Cate Blanchett. Un film qu'on peut voir et revoir sans jamais se lasser. A l'aune d'une telle réussite, l'ambition de James Mangold (cinq années décisives de la vie du chanteur aux 40 albums) fait forcément pâle figure.
Dans le sillage de l'indomptable Woody Guthrie, adoubé par l'autre chantre des classes populaires Pete Seeger, Bob Dylan fut d'abord l'interprète d'un répertoire qui n'était pas le sien (le traditionnel The House of the Rising Sun) avant de devenir à son tour l'icône d'une époque (les droits des noirs, la crise des missiles de Cuba, l'assassinat de Kennedy, la Guerre du Vietnam…) où, comme il le formula dans The Times They Are A-Changin', une de ses plus belles chansons, les temps étaient en train de changer. Un statut d'avec lequel, écrasé par le poids d'une gloire trop soudaine, il prit assez vite ses distances.
Un parfait inconnu, le film de James Mangold, le saisit en 1961, année de cette gloire naissante, pour l'abandonner quatre ans après à un autre moment-phare de sa carrière, celui où l'interprète de Blowin' in the Wind décida d'électrifier son style, au grand dam de son entourage comme d'une partie de son public, après avoir immortalisé un répertoire acoustique qu'il avait gravé sur quatre albums mythiques et promené de Monterey à Newport, hauts lieux des festivals folks de l'époque. C'est cette évolution stylistique (en gros, de Guthrie au futur Springsteen) qui intéresse James Mangold. Un parti-pris qui rappelle celui de Michel Hazanavicius lorsqu'après sa saga OSS, il tira le portrait d'un Jean-Luc Godard mutant entre Mépris et films ouvertement politiques. Beaucoup moins original que le cinéaste du Redoutable en terme de partis pris esthétiques, le filmage à la colorimétrie assez terne de James Mangold se situe même en-deçà de la grâce narrative des films, à la facture pourtant toute classique, de Clint Eastwood. En outre, sa chasteté confondante ne manque pas de faire sourire tout au long d'un film censé évoquer une époque qui ne va pas tarder à basculer dans la bohème hippie : les seuls plans sulfureux ne feront frissonner que les aficionados de la Loi Evin.
Musicalement, la période choisie frustre. Le film (2H20 pourtant) se referme avant l'avènement du chef-d'oeuvre Blonde on Blonde. Même si Mangold ne cède pas trop à la manie du tronçonnage des chansons, même si une réelle émotion naît de la séquence de concert où Dylan soulève les foules à chaque fois qu'il prononce The Times They Are A-Changin' (le propre d'une grande chanson), on sort de la salle orphelins de l'irrésistible I Want You, du sublime Sad-Eyes Lady of the Lowlands dont les onze minutes avaient clos en majesté le premier double album de l'histoire comme le film de Todd Haynes.
S'ouvrant et se refermant sur l'émouvant craquement d'un micosillon, surfant sur la nostalgie d'une Amérique des Trente Glorieuses dont les vibrants combats semblent aujourd'hui révolus, principalement tourné à Greenwich Village, Un parfait inconnu repose de fait uniquement sur ses interprètes. Edward Norton en Pete Seeger, Boyd Holbrook en Johnny Cash sont parfaits. La toujours merveilleuse Elle Fanning fait exister Sylvie, la Suze Rotolo que l'on voit accrochée à son très jeune amant dans les rues de Greenwich Village sur la pochette de The Freewheelin'. Monica Barbaro est une très convaincante Joan Baez, le film suivant en paparazzo la relation de cette dernière avec Dylan, lequel bénéficie de l'interprétation ahurissante de Thimotée Chalamet. Interprétation à tous les sens du terme puisque, comme ses partenaires, il joue de la guitare, de l'harmonica et chante tout au long de la b.o. du film (cinq années de préparation !). Sa ressemblance physique d'avec l'illustre modèle a également de quoi troubler. Cette performance justifiant à elle seule le détour n'empêche hélas pas que l'on regarde Un parfait inconnu comme on a regardé Walk the Line (autre biopic de James Mangold, sur Johnny Cash) : un film solide mais sans génie propre, même s'il ose se démarquer de l'hagiographie dans le portrait qu'il brosse de son principal protagoniste. Le portrait d'un homme qui, hormis lors des scènes de transmission de relais avec Woodie Guthrie se dégradant progressivement sur son lit d'hôpital, reste impénétrable, voire indifférent. Semblant effectivement « ne pas être là », le Bob Dylan de James Mangold reste finalement jusqu'au générique de fin « un parfait inconnu ».