Assurant à la fois sa partie soliste et la direction artistique, Reinoud van Mechelen invite à la passionnante redécouverte des œuvres religieuses à grand effectif, en définitive peu connues, de Louis-Nicolas Clérambault.
En marge de la parution pour le label « Château de Versailles spectacles » de l'enregistrement capté l'été dernier au Namur Concert Hall, Reinoud Van Mechelen propose au même endroit le même programme Clérambault avec quasi la même équipe pour ce concert : son ensemble instrumental A Nocte temporis, une belle brochette de solistes vocaux et un irréprochable Chœur de chambre de Namur.
Le concert débute avec l'oratorio Histoire de la femme adultère où l'on retrouve avec un immense plaisir la pulpeuse voix de Gwendoline Blondeel, pour les quelques interventions (splendide O mulier infelix) de la pauvre femme contrite puis reconnaissante. La basse Cyril Costanzo est ici un admirable historien évangéliste. Les courtes phrases confiées aux deux Juifs accusateurs sont assurées avec urgence et probité par le très « droit » ténor anglais Guy Cutting et le plus impliqué baryton Samuel Namotte – lequel s'extrait avec brio du pupitre de basse-taille du Chœur de chambre de Namur. Celui-ci s'avère par ailleurs aussi vivace qu'expressif, et justement coloré, au gré du grand final expansif Quam bonus Deus Israel à la conclusion abrupte surprenante par son laconisme après un tel déferlement polyphonique ! Reinoud van Mechelen assure à la fois l'essentiel et central rôle christique (avec le décisif Neque ego mulier) et la direction générale de l'ensemble, avec une souplesse et un sens certain de la suavité sonore qui gomment aussi quelque peu les aspérités dramatiques de toute la partition. Les instrumentistes d'A nocte temporis, très attentifs, avec une mention spéciale pour un continuo efficace à la relance du discours, assurent une belle réplique, juste parfois un peu mince de son, et sont cornaqués par l'excellente première violon Joanna Huszcsa.
Autre découverte de taille en seconde partie de concert, le Te Deum à grand chœur. Sont mis en exergue tantôt le grand chœur aussi réjouissant (Tu ad dexteram dei) que presque véhément (In te domine speravi final) – splendides forces namuroises – qu'à tour de rôle, au gré des soli, duos ou même trio (aeterna fac), chacun des quatre solistes du chant. Ceux-ci sont tous, ce soir, d'une très fine justesse expressive, parfois un peu trop « joliment » lissée dans leur expressivité parfois un peu au cordeau. Se distingue derechef Cyril Costanzo, plus convaincant que son alter ego dans l'enregistrement discographique, très émouvant dans le poignant Tu ad liberandum, Reinoud van Mechelen d'une soufflante maîtrise d'émission et d'ornementation au gré de son grand récit Salvum fac populum, s'associe gaiment avec la « taille » Guy Cutting, peut-être un rien trop pincé pour ce répertoire, dans un duo Tu rex gloriae d'anthologie. Une lecture certes impliquée, même si l'on peut regretter une approche quelque peu lisse voire timide de ce somptueux Te Deum. Sans doute peut-on reprocher à la direction générale, certes en place, mais précautionneuse de Reinoud van Mechelen de manquer du punch décisif et des contrastes qu'appelle la partition : peut-être fallait-il davantage travailler encore le dramatisme rupteur latent de ces pages ou les oppositions de registres expressifs au gré des versets successifs. Cela est peut-être aussi lié à un effectif orchestral – une quinzaine d'instrumentasses seulement – certes défendable pour l'oratorio précédent, mais un peu mince pour une musique d'occasion aussi somptueusement solennelle.
En très solide complément de ce programme Clérambault et juste avant l'entracte, nos artistes proposent la sublime et bien plus connue messe Assumpta est Maria H 11., l'une des partitions de haute maturité – sinon la dernière messe écrite – par Marc-Antoine Charpentier, alliant fastes d'une écriture contrapuntique des plus abouties avec expressivité rhétorique efficacement suggestive. Charpentier y généralise tant pour le « grand chœur » que le « petit chœur » de solistes l'écriture à cinq voix, outre l'orchestre à quatre parties, derechef délicatement colorés par les deux traversos. On notera donc au côté de l'immatérielle et vraiment sublimement aérienne Gwendoline Blondeel, en second dessus la présence d'Aurélie Moreels, soliste extraite du chœur, qui offre une réplique aussi élégante qu'inspirée, à l'égale de sa partenaire.
Ici aussi, Reinoud van Mechelen a davantage travaillé sur l'intériorité et la suggestivité de la partition par une imbrication timbrique très soignée et un travail en pleine pâte de la couleur sonore, dicté par un effectif relativement réduit. C'est ici une vision plutôt élégiaque mais très fervente de cette messe grandiose, complétée par la prière pour le Roi, l'une des nombreuses mises en musique du Domine salvum fac regem du maître. Certes son option reste parfaitement défendable mais par exemple à l'exact opposé de celle, beaucoup plus italianisante et extravertie, de Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances que nous avions pu apprécier en concert à Tourcoing. Mais c'est bien le propre d'un tel chef d'œuvre que d'autoriser des approches aussi antinomiques, surtout quand elles sont réalisées avec un tel sens du détail et une grande probité stylistique.
En bis, et en guise de prière pour la Paix et sans doute en mémoire de toutes les victimes des violences de notre époque obscure, Reinoud van Mechelen et ses troupes proposent fort à propos un extrait de l'émouvant Motet pour les Trépassés à double chœur H. 311 du même Marc-Antoine Charpentier, bref mais éloquent discours sur les misères de ce Temps. Une conclusion offrant à l'auditoire le loisir d'une profonde réflexion sur notre humaine condition à la fois si piètre et si altière.