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Dans le cadre de ManiFeste, Triptyque bleu d’Hèctor Parra en création mondiale

Dans un concert haut en couleurs et en décibels, qui met en vedette la trompette et sonde les rapports des compositeurs avec l'univers des arts visuels, l'EIC et son chef donnent en création mondiale Triptyque bleu du Catalan .

Blaauw/Sinjo de la Britannique est la version pour trompette à pavillon unique de Blaauw (2004) écrite pour l'instrument à deux pavillons de Marc Blaauw, trompettiste de l'ensemble allemand Musikfabrik. Le titre fait référence au créateur de la pièce mais signifie également « bleu » (blauw) en néerlandais tout comme sinjo (« bleu » en bulgare). À l'instar du poème que Saunders écrit en guise de notes d'intention, la pièce juxtapose des phrases musicales et autant de propositions sonores sondant les potentialités de l'instrument via l'utilisation des sourdines et des techniques de jeu étendues : tremblement, flatterzunge, souffle, filtrage, grain sombre : toutes les nuances du bleu… Lucas Lipari-Mayer joue dans les cordes du piano, déclenchant, ou pas, un halo d'harmoniques selon l'intensité de son souffle. La qualité virtuose et la finesse du rendu sonore de l'interprète procurent à elles seules tout le plaisir de l'écoute.

De l'énergie du geste

De la trompette toujours (mais pas seulement) avec L'Étoile matinale de Joan Miró, premier hommage de la soirée rendu au peintre catalan par . Si les vingt-trois Constellations de Miró ont fait l'objet d'une somme pianistique écrite par le compositeur pendant le confinement de 2020, la Sixième existe également sous forme de quatuor (trompette, hautbois, piano et percussion) entendue ce soir en création publique par les solistes de l'EIC qui l'ont enregistrée en 2020 : musique du geste et du timbre éminemment conduite, du bruit blanc (souffle) à la couleur, de la ligne à la texture… L'Étoile matinale est une « esquisse » à fleur d'improvisation, superbement restituée par les quatre musiciens (Clément Saunier, Philippe Grauvogel, Sébastien Vichard et Samuel Favre) en parfaite synergie ; une acoustique plus généreuse en aurait magnifiée le rendu sonore.

L' est au complet – alignement bleu du pupitre des cordes – sous la direction de dont la veste aux larges pans colorés participent de la thématique de la soirée !

Nel cielo appena arato – dont le titre bien sonnant ne souffre aucune traduction – de la compositrice italienne n'avait pas été réentendu depuis sa création au centre Pompidou en 2009. Puissamment texturée, comme toute la musique de Morciano, la pièce alterne énergie du geste et séquences plus étales, découvrant des images spectrales de toute beauté. Les contours sont ciselés, l'écriture souvent solistique et le discours bien conduit, jalonné par les résonances somptueuses d'un gong d'où s'origine toute la partition. en détaille l'écriture et fait passer entre les pupitres un souffle fougueux autant que poétique.

Rien moins que des choses infimes

Filant la thématique du concert, De Kooning, de , traduit musicalement le regard très personnel que l'Américain pose sur le travail du plasticien. Les cinq musiciens réunis – cor, violon, violoncelle, piano et percussions – sont debout (piano excepté), jouant en alternance ou en légère doublure, une musique de l'épure, non mesurée, dont chaque instant de l'écoute devient une expérience immédiate et nouvelle. Dans la salle, hélas, des toux intempestives (sabotage?) gâchent cette écoute et empêchent la magie d'opérer.

Le bleu et ses complémentaires

« J'ai un rapport émotionnel avec Miró », nous dit le compositeur catalan – aussi dessinateur et peintre – qui connaît l'artiste et son œuvre sous toutes leurs facettes. Lorsqu'il s'empare d'un sujet, qu'il soit dramatique ou plastique, Parra s'en imprègne, le vit et le respire jusqu'à le posséder presque physiquement. Ainsi passe-t-il de longues heures d'immersion avec les trois tableaux monumentaux du Triptyque bleu (1961) du Centre Pompidou, s'approchant de la toile pour en observer de très près et même photographier la texture striée de la matière qui va impulser son écriture et en dessiner la dramaturgie. Car Parra a tôt fait d'extrapoler les limites de la toile pour s'intéresser au peintre lui-même et à ce qu'il nomme « la brisure intérieure de l'artiste », cette faille dans l'existence de Miró causée par la guerre et ses souffrances.

Triptyque bleu pour trompette solo – Clément Saunier époustouflant – ensemble et électronique est en trois mouvements correspondant à chacun des panneaux de l'artiste. Tous les instruments sont reliés au dispositif électronique (le RIM Pierre Carré aux manettes) pour un traitement en direct du son que l'on reçoit des haut-parleurs. Si la musique est bouillonnante et la texture richissime – l'écriture plastique du timbre si personnelle au compositeur – la trompette est toujours en dehors, qui semble à elle seule déplacer la masse instrumentale par vagues, d'un registre à l'autre, avec ses élans fulgurants et ses mouvements de ressac spectaculaires. Parra mène plus avant ses recherche sur les techniques de jeu étendues de la trompette dont l'électronique amplifie toutes les singularités – vibrato de lèvres, grommelot du son, registres extrêmes – accomplies avec une virtuosité insolente par l'interprète.

Le second mouvement, selon Parra, est « japonisant », les taches noires sur le bleu de la toile évoquant au compositeur l'aridité du jardin zen, sans la « zénitude » qui n'est pas l'affaire du Catalan! Pour autant, la contrebasse – immense Nicolas Crosse doté lui-aussi d'un solo furieux – fait claquer sèchement sa corde sur la touche ; claque également avec violence le fouet toujours présent dans le set de percussions de Parra ; la trompette se fait « oiseau » dans une des cadences les plus vertigineuses du soliste, révélant des zones inouïes de l'instrument. Le troisième mouvement, beaucoup plus court, n'est pas moins enlevé, multipliant les passages solistes et les grands élans lyriques de la partie orchestrale flirtant parfois avec la consonance.

Sous le geste généreux et la main expressive de Pierre Bleuse, les musiciens de l'EIC, qui connaissent bien l'écriture de Parra, s'engagent sans compter et avec une pleine sonorité, au risque de heurter certaines oreilles sensibles ! Mais Clément Marie à la diffusion veille au grain, maintenant un parfait équilibre entre le soliste et le tutti.

Ainsi , visionnaire autant que l'artiste auquel il se réfère, entend-il dialoguer avec la peinture de Mirô, tissant à sa manière, à travers une écriture aussi foisonnante qu'admirablement texturée, une matière fertile donnant à entendre l'univers poétique, lyrique et traumatique de l'artiste peintre.

Crédit photographique : © EIC

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