En clôture, ou presque, de sa saison, le Théâtre des Champs-Élysées a convié le public à un concert sous le signe d'adieux : ceux de Michel Franck, dont le mandat de directeur général et artistique de la salle parisienne s'achève. Au cœur de son programme, la Symphonie « Les Adieux » de Joseph Haydn, par l'Orchestre national de France sous la direction du claviériste et chef Maxim Emelyanychev.
Surprenant programme au demeurant que celui-ci, assemblant la Symphonie n°8 « inachevée » de Schubert, la Symphonie n°45 de Haydn, le motet Exsultate, Jubilate K.165 de Mozart et l'Ouverture-fantaisie Roméo et Juliette de Tchaïkovski ! Porteur d'un message implicite à l'attention du public du Théâtre des Champs-Élysées, il est construit autour de cette Symphonie de Haydn surnommée « Les Adieux », message lui parfaitement explicite adressé par Haydn, mécontent, à son employeur le Prince Esthérazy. Avant que tour à tour chaque musicien ne se lève et quitte la scène en pleine exécution du finale, avant que le compositeur ne fasse taire d'abord le cor, puis un hautbois, puis chaque instrument de l'orchestre, jusqu'à extinction des lumières, puis du son, rien des trois premiers mouvements ne laisse supposer un tel dénouement pour qui découvrirait l'œuvre légendaire. Maxim Emelyanychev s'empare non pas d'une baguette, mais du clavier d'un clavecin ajouté à l'instrumentarium original pour diriger avec la fougue qui le caractérise l'allegro initial, insufflant une énergie, une vivacité et une fermeté de trait à l'orchestre. Le clavecin double le plus souvent les violoncelles, ou ponctue comme un continuo, apportant son poudroiement sonore aux cordes, parfois peu audible, parfois plus présent comme dans l'adagio ou le menuet. Le presto final, aérien, porté par les cordes à l'articulation d'une parfaite netteté – une prouesse tant le tempo est à vive allure – contraste avec la grâce appuyée, ironiquement aimable de l'adagio déserté.
Avant cela, « l'Inachevée » de Schubert a ouvert la soirée. L'orchestre est disposé à la viennoise, alignement des contrebasses au fond et en surplomb, cuivres à cour. Emelyanychev installe un climat de sombre mystère dès l'introduction de l'Allegro, puis développe une dramaturgie dans la dualité propre à l'œuvre mais sans lourdeur pathétique, entre impondérable et inaltérable légèreté du chant, souffle presque à mi-voix sur le frémissement des cordes ou les syncopes de la petite harmonie et, cultivant les nuances piano, pianissimo des graves, accents tragiques et accès dramatiques. L'Andante laisse entendre de superbes solos instrumentaux au sein des bois, dans des nuances d'une grande finesse. Une interprétation teintée d'un romantisme naissant non exempte de profondeur.
Contraste la seconde partie qui commence avec une œuvre lyrique, autrement plus lumineuse. Sabine Devieilhe, loin de la pure démonstration vocale, s'empare du motet Exsultate Jubilate et de ses vocalises avec une délicatesse, une musicalité extraordinaires. C'est un enchantement de l'entendre, de redécouvrir cette œuvre pyrotechnique habillée du doux fruité de son timbre, du velouté caressant de sa voix. Chaudement applaudie, elle offre en bis Amor de Richard Strauss, éblouissant l'auditoire de ses aériennes virevoltes vocales.
Emelyanychev a choisi pour clore le concert l'ouverture-fantaisie Roméo et Juliette de son compatriote Tchaïkovski. L'esprit dramatique esquissé chez Schubert reprend ici ses droits, redoublant de tumulte, déchaînant un ouragan sonore depuis le grondement sourd des timbales. Le chef façonne les phrases, amplement chantantes, insuffle un puissant élan romantique jusqu'à l'incandescence sonore exaltée par les cuivres. Et quel lyrisme somptueusement chavirant des cordes ! Le public réclame un bis : ce sera la réplique de la cadence finale, dernière ponctuation assortie d'un au revoir de la main d'Emelyanychev vers la salle.