Pour clôturer la saison chorégraphique, les Ballets de Monte-Carlo ont proposé non pas une mais deux créations, dans le magnifique écrin de la salle Garnier de l'Opéra de Monte-Carlo. Au programme, Lukáš Timulak d'une part, Mattia Russo et Antonio de Rosa de la compagnie Kor'sia de l'autre, ont secoué le rocher avec leurs créations alliant originalité et rigueur.
Comme il en a l'habitude, Jean-Christophe Maillot, à la tête des Ballets de Monte-Carlo depuis 1993, a choisi d'inviter des créateurs parmi les plus doués du moment pour faire danser sa compagnie et clore la saison en beauté. Lukáš Timulak, ancien danseur des Ballets de Monte-Carlo, formé à l'Académie Princesse Grace après le Conservatoire de danse de Bratislava, présente Twilight. Conçue comme un voyage visuel et chorégraphique, cette pièce de 30 minutes se déroule devant un fond de scène projetant en direct le ciel à Monte-Carlo et à La Haye, aux Pays-Bas où vivent Lukáš Timulak et Peter Bil'ak, son décorateur et scénographe complice depuis plusieurs années. A travers cette mise en scène, le propos des artistes est clair : utiliser l'art comme un pont pour montrer deux réalités parallèles, séparées géographiquement mais néanmoins simultanées, comme peuvent l'être parfois les émotions humaines.
Au plateau, huit danseurs des Ballets de Monte-Carlo dansent cette complexité et ces changements d'humeur, entre ombre et lumière. La très belle composition originale de Volker Bertelmann accompagne parfaitement ces transformations subtiles avec une musique allant crescendo sur les variations des danseurs, alternant les chaloupements avec des mouvements explosifs. La chorégraphie de Timulak engage les corps dans leur entièreté, pas un muscle ne reste au repos. Lorsqu'un soleil couchant apparaît en fond de scène, la musique rythmée et entêtante du début fait place à la délicatesse d'une composition au piano. Plusieurs duos se succèdent, d'une grande douceur. Les danseuses, désormais sur pointes, semblent s'abandonner avec confiance dans les bras de leurs partenaires qui ne les lâchent jamais. Puis elles reviennent, toutes les quatre uniquement, apportant encore une autre facette de la psyché humaine, de son humeur changeante, imprévisible. Twilight est une réussite, alliant poésie et virtuosité. Lukáš Timulak a su tirer pleinement profit de l'excellence académique des Ballets de Monte-Carlo, pour leur faire faire un joli pas de côté.
Avec Bronia, ce n'est pas un pas de côté mais un bond que le duo Antonio de Rosa et Mattia Russo fait faire aux danseurs de Jean-Christophe Maillot. Alors que le Boléro de Ravel retentit déjà dans la salle depuis quelques minutes, le rideau s'ouvre sur une scène un peu chaotique, aux allures de répétition. Au fond, un danseur saute sur un trampoline. Devant, une troupe se met en place, entre des racks de vêtements de scène, des accessoires, et des indications scéniques distillées par une voix off. Les mouvements des danseurs sont très lents, étirant cette mise en place quelque peu énigmatique, symbolisant l'univers de Bronia -diminutif de Bronislava, prénom de la sœur de Vaslav Nijinski, elle-même fille et épouse de danseurs, créatrice, interprète et répétitrice ayant passé sa vie dans les coulisses des théâtres.
Avec cette création, les deux chorégraphes de la compagnie madrilène Kor'sia entendent rendre hommage à cette artiste souvent oubliée dans l'ombre de son frère. La chorégraphie proposée s'inspire de l'avant-garde de l'époque, mêlant mouvements martiaux, voire athlétiques. Les poings fermés, les bras pliés au niveau des épaules, les danseuses s'avancent sur des pointes conquérantes, prêtes à défier l'hégémonie masculine de l'époque de Nijinski. Les danseurs, eux, forment une pyramide, digne des meilleurs gymnastes circassiens. Les ensembles qui suivent, sur une musique post-industrielle et des lumières rouge vif, additionnées de stroboscopes sont impressionnants de justesse et de précision. Mais Bronia sait aussi se faire tendre et poétique. Au son du piano joué par un danseur sur scène, un duo évolue dans un registre plus classique. Les tableaux s'enchaînent, tous différents, comme les différentes facettes d'un personnage complexe, à l'avant-garde de la création de son époque. Comme avec leur précédent spectacle, Igra, présenté au Monaco Dance Forum, Antonio de Rosa et Mattia Russo continuent de déployer leur univers singulier et de surprendre le public.
Avec ces deux créations d'un excellent niveau, les danseurs du Ballet de Monte-Carlo ont eu l'occasion de montrer à la fois leur versatilité et leur grande maîtrise athlétique. Que ce soit dans les ensembles ou en petits groupes, sur pointes, en basket ou pieds nus, ils s'adaptent à chaque fois pour donner le meilleur d'eux-mêmes au chorégraphe qui les dirige.