Avec son Concert des Nations, Savall propose une interprétation où délicatesse et brutalité alternent au détriment de la continuité musicale.
Jordi Savall est devenu avec le temps une figure bien connue au festival de Salzbourg, depuis 1998, et chaque année depuis 2014. En 2025, c'est le jour même de ses 84 ans qu'il y fait étape pour un programme qui est l'exact double de celui de son dernier disque : après une intégrale des symphonies de Beethoven, c'est cette fois les deux symphonies majeures de Schubert qui sont au programme. Les instruments anciens sont naturellement en vedette : malgré un ou deux moments de confusion, le bénéfice sonore est certain pour les bois, à commencer par les clarinettes et les flûtes, moins incontestable pour les cuivres : si les deux cors qui ouvrent la symphonie D. 944 sont justes et incisifs, les trois trombones ne se font pas toujours entendre à bon escient.
Le geste de Jordi Savall est désormais un peu raide, mais rien ne laisse penser à un moindre contrôle de ce qui se passe à l'orchestre – et son appel pour la paix, en début de concert, en Ukraine comme à Gaza, est bien dans sa manière. Le public salzbourgeois aime les valeureux vétérans, les artistes qui restent jusqu'au bout au service de leur art, et il réserve donc à Savall une ovation généreuse ; on ne peut pourtant pas dire que le résultat soit sans reproche tout au long de la soirée. Savall choisit des tempi qui, eux, ne perturbent pas nos habitudes d'écoute, sinon peut-être sur le premier mouvement de la symphonie D. 944, dont le tempo un peu vif ne donne pourtant pas une impression de précipitation.
Le début du concert, les frémissants murmures des cordes de l'Inachevée, est proprement merveilleux, sans sfumato romantique, mais avec une netteté des mouvements émotionnels qui n'est pas moins forte. L'Inachevée est sans aucun doute la plus réussie des deux œuvres au programme : dans la symphonie D. 944, l'ampleur nouvelle du monde symphonique schubertien se traduit trop souvent par des surcharges de décibels et des contrastes dynamiques brutaux, avec des timbales omniprésentes qui semblent à chaque fois rompre la continuité du discours musical. On retrouve ces options interprétatives dans L'Inachevée, mais elles sont largement compensées par la délicatesse des solos des vents, appels poignants ou élégies désolées, comme elles n'avaient que par moments nui à la réussite de son intégrale beethovienne à Salzbourg ; elles deviennent un sérieux problème dans l'ultime symphonie achevée de Schubert, où elles tendent trop souvent à rompre la continuité du discours musical. On ne peut nier l'énergie que met tout l'orchestre – visiblement de fort bonne humeur, à en croire les discussions et les sourires lors des saluts – à suivre cette musique, mais l'énergie n'est pas le seul critère en matière d'interprétation musicale.
Crédits photographiques : © SF/Marco Borrelli
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