Autour de Cecilia Bartoli, Philippe Jaroussky et Lea Desandre, Kosky fait son show habituel, mais quelques scènes parviennent tout de même à créer l'émotion.
Depuis 2012, Cecilia Bartoli dirige le festival de Pentecôte à Salzbourg, et elle a même été récemment renouvelée à ce poste jusqu'en 2031 ; elle y produit notamment un opéra qui est repris chaque été au festival, avec un résultat artistique très variable selon les années, grandes réussites alternant avec spectacles à oublier très vite. Le millésime 2025 se place entre ces deux extrêmes, mais il reçoit au moins la palme de l'originalité : ce n'est pas à proprement parler un opéra qu'elle propose, mais une sorte de pasticcio, dont la musique est presque entièrement de Vivaldi, et dont le concept est signé Barrie Kosky. Hotel Metamorphosis, voilà le titre : Hôtel, parce que le décor, unique mais évolutif, est celui d'une chambre d'hôtel, Metamorphosis parce que les Métamorphoses d'Ovide en sont la trame et l'inspiration, à travers cinq histoires très connues (Pygmalion) ou pas (Myrrha).
Kosky, avec l'aide de Gianluca Capuano, n'a pas construit un véritable pasticcio avec récitatifs et action continue, mais une sorte de déambulation dans les différentes histoires, avec l'actrice Angela Winkler, star de la scène et du cinéma allemand depuis les années 1970, comme guide en réincarnation d'Orphée. Le texte qu'elle déclame, sur scène ou pas, est directement tiré des Métamorphoses, dans une nouvelle traduction allemande, ainsi que quelques poèmes de Rilke : on révise les mythes antiques dans leur forme en quelque sorte originale, mais on n'y apprend pas ce qui a intéressé Kosky dans ces textes. Les airs de Vivaldi chantés par les quatre solistes sont supposés exprimer les émotions des personnages comme dans l'opera seria, même si leur adéquation à chaque situation a rarement la force d'une évidence.
Kosky a choisi cinq histoires pour cette longue soirée ; celle de Pygmalion, incarnée par un Philippe Jaroussky qui manque un peu de projection et de force de conviction, est racontée un peu vite, tout comme celle d'Arachné, transformée en araignée pour avoir voulu rivaliser avec Minerve en son art du tissage. La scène finale de la première partie, consacrée à Myrrha, est beaucoup plus émouvante. Il faut passer (et ce n'est pas facile) sur le contenu même du mythe développé par Ovide : un inceste « romantique », fantasme qu'on aimerait ne plus jamais voir, et que Kosky n'interroge pas vraiment, pour se concentrer sur la figure de Myrrha et son amour obsessionnel. On voit ainsi l'objet de cette passion vivre sa vie dans la chambre d'hôtel, dévoré des yeux par Myrrha qui le traque à son insu jusqu'au subterfuge d'une union qui donnera naissance à Adonis, ce que le spectacle ne dit pas. La direction d'acteur est fine, Lea Desandre s'y coule avec bonheur, et Kosky y montre toute sa science de la scène, mais cela ne suffit pas vraiment à nous convaincre de la pertinence du projet d'ensemble de cette soirée.
La star de la soirée, naturellement, c'est Cecilia Bartoli, dont le disque d'airs de Vivaldi a fait l'événement il y a un quart de siècle exactement: peu importe que des intégrales d'opéra de Vivaldi aient existé bien avant l'an 2000, c'est comme si elle avait réinventé à elle seule ce répertoire (on peut d'ailleurs regretter qu'elle n'ait pas choisi ensuite d'enregistrer elle-même des opéras complets). Une partie des airs qu'elle chante pendant cette soirée, d'ailleurs, était déjà dans ce disque fondateur : la scène finale, consacrée à Eurydice après la mort tragique d'Orphée dépecé par les Bacchantes, culmine avec l'admirable Gelido in ogni vena de Farnace, que précédait l'air de Giacomelli repris par Vivaldi dans Bajazet, Sposa son disprezzata, qu'elle avait choisi pour son disque hommage à Farinelli. La mise en scène de Kosky n'est pas ici très convaincante, mais la musique ainsi que la stature singulière, digne des plus grands acteurs, atteinte ici par Bartoli – même par sa seule présence physique – rend cette fin néanmoins très émouvante.
Ce n'est pourtant pas elle qui, cette fois, domine la distribution, mais Lea Desandre, qui incarne à la fois Myrrha, nymphe réincarnée comme son nom l'indique en myrrhe (l'arbre qui donne la résine odorante du même nom) et Echo, amoureuse éperdue du beau Narcisse, sans oublier un duo avec Pygmalion dans le rôle de la statue qu'il anime. C'est elle qui prend le relais de Cecilia Bartoli pour les airs les plus virtuoses (Agitata da due venti ou Scenderò, volerò, griderò) : même si le choc de la découverte n'est plus là, la probité stylistique et la virtuosité sans affectation de Desandre suscitent l'émerveillement ; et, ce qui ne nuit pas, elle est une actrice investie (peut-être un peu trop en Echo, du reste), d'une grande mobilité, qui parvient réellement à émouvoir et à construire son personnage.
Les deux autres chanteurs sont un peu plus en retrait : Philippe Jaroussky, complice de Bartoli depuis longtemps, a une voix un peu éteinte qui peine à s'imposer, d'autant que ses deux scènes ne sont pas non plus très convaincantes en ce qui concerne la mise en scène. Nadezhda Karyazina, elle, rôle plus secondaire dans trois scènes, se tire très honorablement de ses airs, notamment le beau Nel profondo cieco mondo (Orlando furioso), qui va bien à son mezzo sombre et ample.
Dans la fosse, c'est naturellement Gianluca Capuano qui officie avec Les Musiciens du Prince, et des solistes de haut vol. Le spectacle de Kosky a tendance à réduire la musique à un simple accompagnement, ce qui ne nous incite pas franchement à laisser traîner l'oreille dans la fosse : un peu plus de présence orchestrale, un peu plus d'audace n'auraient pas nui, mais on ne peut nier la compétence et la probité de cette direction qui ne prend pas le premier rôle que rien, ici, ne lui attribue.
Crédits photographiques : © SF/Monika Rittershaus
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