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Le festival de Stavelot 2025, fabuleux et convivial cabinet des « curiosités »

La 68e édition du – annoncée sous le vocable « Curiosités » –  bat son plein en cette première quinzaine du mois d'août, avec son lot de découvertes, rencontres d'artistes et masterclasses. Au fil de cette première semaine musicale, deux concerts chambristes ont retenu notre attention.

Le 6 août, un concert de quatuors à clavier

Le festival a confié l'organisation logistique et musicale de ce premier double concert, dédié au répertoire germanique pour quatuor à clavier à la violoniste . C'est sous son égide que se sont réunis trois autres excellents instrumentistes : la pianiste française , la jeune et talentueuse altiste franco-égyptienne Sindy Mohamed, et le violoncelliste polonais, formé et actif en Belgique, .

Le nom de (1839-1916), redécouvert depuis une quinzaine d'années en nos contrées, surtout par le truchement du disque, apparaît pour la première fois au répertoire du  festival : ce maître actif à Cologne puis à Rotterdam et Berlin, fut amicalement très lié à Brahms – son aîné de six ans – qui lui témoignait une grande estime et une indéfectible amitié. Certes, le Quatuor n° 2 proposé ce soir montre d'évidentes parentés stylistiques et langagières entre les deux compositeurs, bien dans le zeitgeist, mais l'œuvre témoigne d'une sensibilité originale par le naturel des thèmes et de leur développement – au gré de l'allegro molto moderato initial – par le lyrisme effusif de l'andante (très) cantabile central ou encore par l'ironie mélancolique très personnelle du rondo final. Nos interprètes font montre au fil de cette belle partition quasi inconnue d'une superbe cohésion dans la mise en place et d'une exceptionnelle écoute mutuelle, misant sur l'aération des textures. Les échanges de regards complices et de subtils sourires au gré du capricieux final témoignent d'une évidente connivence d'esprit – établie en quelques jours, et malgré un nombre de répétitions sans doute restreint.

Après l'entracte, c'est avec le même probe engagement, la même singularité émotionnelle (sostenuto assai initial) la même effervescence chatoyante (scherzo), doublée d'un lyrisme à fleur de peau (splendide andante cantabile) que nos interprètes défendent le bien plus célèbre Quatuor opus 47 de . Les quatre artistes – dont on ose espérer la rencontre promise à de beaux lendemains – semblent se jouer des difficultés du complexe et très contrapuntique Vivace final, apothéose brillantissime de la soirée.

Entre ces deux pôles, propose quelques pages essentielles pour piano seul de – à vrai dire, quasi contemporain de Gernsheim. On connaît les affinités électives de la pianiste avec ce précieux répertoire qu'elle a fixé pour le disque (Harmonia Mundi), l'an dernier, sur un grand Gaveau très coloré de 1929. Elle propose ce soir trois pages essentielles, avec tout le confort moderne et l'acuité sonore d'un grand Steinway ! Deux barcarolles sont retenues : à la troisième, idéalement timbrée, donnée avec une pulpeuse et jaillissante spontanéité et une aristocratique élégance dans l'ordonnancement des plans sonores, répond la funèbre et énigmatique dixième, d'une austérité presque glaçante sous ces doigts impitoyables. L'ultime nocturne, adieu du maître à l'instrument, atteint une dimension singulière par l'éclairage polyphonique très châtié du choral augural, et surtout par ce bouleversant emportement orageux et quasi lisztien de toute la section centrale, sublimement maîtrisée.

Le 9 août, , et : hommage et découverte

Trois jours plus tard, c'est un réfectoire des Moines comble qui accueille , et . Habitués des lieux, les trois solistes forment en effet un trio à clavier assez occasionnel mais fidèle. Le concert célèbre d'abord les retrouvailles musicales et amicales de et plusieurs années après leur formidable périple beethovénien. C'est cette fois Mozart qui est à l'honneur avec la Sonate en fa majeur K 377. Issu d'un recueil publié à Vienne en 1781, cette œuvre équilibre substantiellement les débats entre cordes frappées et frottées. Le duo prend la partition à bras-le-corps, plaçant le truculent allegro liminaire – par l'ampleur des coups d'archets et un jeu pianistique expansif et vif – plus dans la perspective de ses héritiers romantiques que de ses ascendants sturm und drang. L'andante varié central, aux contrastes dramatiques exacerbés, acquiert ainsi une patine très schubertienne. Le final, plus aimable et presque galant, retrouve une candeur et une simplicité classiques bienvenues.

Une ravélienne Pavane pour une infante défunte, ciselée dans le moindre détail par un Julien Libeer à la fois pudique et suave, sert de portique à la découverte de ce concert : la Sonate pour violoncelle et piano n° 1 (1903) du méconnu . En un seul mouvement d'une petite vingtaine de minutes, l'œuvre, très rhapsodique, refuse tout moule préétabli pour procéder par variations continues et développantes. Par son principe cyclique, elle évoque Franck ; par son langage harmonique et ses atmosphères fantasques, elle rappelle plutôt un Fauré mâtiné de Debussy. Si la forme peut sembler incertaine et l'esthétique vagabonde, le discours a ses fulgurances, avec un climax très lisztien habilement mené juste avant une péroraison sereine et discrète. et Julien Libeer ont monté cette œuvre rarissime spécialement pour le festival. Ils en magnifient avec succès le caractère ludique et versatile, tour à tour rêveur ou épique. Le violoncelliste défend corps et âme cette partition malaisée sur le plan de l'intonation (en raison de son improbable tonalité de fa dièse mineur et de ses modulations enharmoniques), au prix de quelques minimes scories de sonorité sur la chanterelle. Le pianiste lui offre une réplique remarquable, à la fois ductile et autoritaire, très coloriste dans sa registration des plans sonores finement étagés. L'œuvre remporte un franc succès auprès d'un auditoire conquis.

Après l'entracte, les trois solistes – enfin réunis ! – nous offrent une version à la fois électrisante et dramatique du rare et virtuosissime Trio en ut mineur opus 66 de Félix Mendelssohn, programmé in situ pour la première fois en sept décennies. L'interprétation est magnifiée à la fois par la symbiose parfaite des deux cordes et par l'absolue transparence du jeu de Julien Libeer, même dans les passages les plus touffus. Sans jamais négliger l'influx trépidant et torrentiel des temps extrêmes ou la diaphane vélocité du scherzo, les interprètes creusent aussi le côté sombre et pudiquement émotionnel de l'œuvre, notamment au gré d'un ineffable Andante espressivo, suspendu entre ciel et terre. Pour remercier un public débordant d'enthousiasme, et en guise d'au revoir, le trio offre en bis, extrait de l'autre opus mendelssohnien pour la formation l'andante con moto tranquillo avec une probité sereine et une félicité immatérielle et songeuse.

Crédits photographiques : quatuor à clavier de Lacerda/ Mohamed/ Piboule /Nowak  et © /ResMusica ; Trio Gatto/ Libeer/ Philippe © ResMusica

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