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À Genève, bouleversante Elsa Dreisig dans les Vier letzte Lieder de Strauss

Concert d'ouverture de la saison de l' chamboulé par le désistement de Matthias Goerne mais sublimé par la magie interprétative d'une en majesté.

L' réjouissait ses fidèles spectateurs avec la formidable affiche de son concert d'ouverture de la nouvelle saison sur le thème du «Roi des Aulnes» avec la venue du baryton Matthias Goerne. Un programme sur mesure concocté spécialement pour le baryton allemand où Schubert et Mahler devaient se partager la scène. Malgré l'absence du chanteur, l'orchestre a rebondi en offrant un nouveau programme de ce concert avec, entre autre, la venue d' dans les fameux Vier letzte Lieder de que la soprano porte à son répertoire concertant, puis au disque, depuis 2020 avec le pianiste Jonathan Ware.

Ouvrant la soirée avec l'ouverture de l'opéra Alfonso et Estrella de , l'explosion initiale de cette courte partition réveille immédiatement le public qui n'a guère le temps de s'habituer à son confort, ni de s'inquiéter si parmi le public d'éventuelles connaissances auraient encore échappé à leurs saluts. Le tutti initial explose sans ménagement. Dans la suite de ces quelques six minutes de musique, on remarque que le chef laisse peu de place à l'apaisement, faisant manquer à l'écoute quelques nuances que cette partition recèle.

Avec la Symphonie n° 4 « Tragique », on retrouve un peu cette tendance au forte que le jeune chef imprimait déjà dans l'œuvre précédente. Il est vrai que cette symphonie révèle plus d'énergie juvénile (Schubert a 19 ans lorsqu'il en termine la composition) que d'esprit tragique. Dans le premier mouvement Adagio molto–Allegro vivace, souligne avec force et détermination le caractère pathétique de cette musique. On aurait aimé un peu plus de respiration, voire de souplesse dans sa direction d'orchestre qui nous apparait quelque peu empreinte de raideur. Dans le second mouvement Andante, le chef s'emploie avec beaucoup de soin à diriger les pupitres des bois et des cuivres. Ils ont d'ailleurs une forte tendance à s'imposer au-dessus des cordes. Si nous aimons le menuet du troisième mouvement Allegro vivace, on retrouve ce style de direction heurté. De même, le quatrième mouvement Allegro, comme précipité, manque du lyrisme propre à l'émergence de la ligne mélodique.


L'entrée d' est chaleureusement saluée par le public comme un remerciement anticipé pour sa présence après le désistement de Matthias Goerne. Quand s'élèvent les premières notes de ces Vier letzte Lieder de , le chant des harmonies obligent au recueillement.

Dès les premiers accents de Frühling, la voix d'Elsa Dreisig se dresse avec une évidence désarmante et avec une puissance d'émission renouvelée. On se souvient de sa voix affirmée lors des représentations au Grand Théâtre de Genève de Roberto Devereux de Gaetano Donizetti en juin 2024 par rapport à celle qu'elle nous offrait durant ces précédentes prestations de Maria Stuarda en décembre 2022 et de Anna Bolena en octobre 2021. Si l'an dernier, nous avions noté l'éclosion bénéfique de sa voix, ici l'affirmation vocale semble encore plus flagrante. Sans qu'on ressente l'effort, la jeune femme distille ses phrases avec une force et une ouverture vocale inouïes. Sur tout le spectre, la voix reste belle, chaleureuse, dépouillée de toutes stridences, les couleurs découpent superbement une diction parfaite. Dans ce premier chant, elle choisit un ton plus jeune que dans les autres poèmes, laissant aux mots le soin d'exprimer l'esprit du poème. Maîtresse de son instrument, elle peut dès lors le modeler au gré des paroles.

Après les strophes du renouveau de Frühling, September nous enlaçant de ses couleurs d'automne voit Elsa Dreisig prendre un ton plus arrondi, plus charnu. Sans que l'accompagnement orchestral ne s'en ressente particulièrement, on perçoit que la soprano prend peu à peu l'ascendant sur un orchestre toujours un peu raide alors qu'on espère plus de respiration dans une musique qui ne demande que cela. C'est là que survient un moment extatique avec ce sublime dernier vers Langsam tut er die grosse müdgewordnen Augen zu (Lentement, il ferme ses yeux fatigués), où la soprano et l'orchestre sont en parfaite symbiose. Un bonheur d'artiste !

Dans le sublime troisième poème Beim Schlafengehen, la communion entre la soliste et l'orchestre trouve son chemin lorsqu'à la fin du second couplet, Elsa Dreisig chante Alle meine Sinne nun wollen sich in Schlummer senken (Tous mes sens veulent maintenant plonger dans le sommeil) avec une telle intensité interprétative que, touché par la grâce, le premier violon, , entonne de manière sublime le solo de l'interlude. Son interprétation ne laisse d'ailleurs pas Elsa Dreisig indifférente puisqu'elle se retourne et, face à lui goûte, manifestement émue, chaque note de ce violon miraculeux.
Enfin, l'ultime poème de ce cycle crépusculaire, Im Abendrot voit une bouleversante Elsa Dreisig, connaissant parfaitement la portée de chaque mot de ce récit, se couler vers une symbiose totale entre elle et l'orchestre, encore qu'on aurait aimé qu'il s'ouvre plus encore à cette sublime musique à travers un laisser aller que l'expérience, l'âge, devraient donner au chef , parfois encore trop attaché à la rigueur de la partition.

Après un long silence, le public retenant l'émotion du moment hésite à rompre cette communion pour finalement réserver un triomphe au privilège de cette musique et de sa très belle interprétation. Après plusieurs rappels, Elsa Dreisig offre en bis un très beau Morgen de Strauss qui, quand bien même pétri de bonnes intentions et de chaleur, ne peut trouver sa place après les Vier letzte Lieder.

Crédit photographique : © OCG/Sébastien Moritz

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