Avec From Byrd, le Trio Musica Humana convoque autour de la Messe à trois voix de William Byrd la fine fleur anglaise du XVIe siècle musical.
Difficile, au détour des chemins de 2025, de ne pas croiser les membres du jeune Trio Musica Humana. Soit à l'intérieur, soit à l'extérieur. Soit séparément, comme dans le récent Carnaval baroque mené à Dijon par Vincent Dumestre ou encore dans la Carmen itinérante qui vient de poser sa mantille au festival d'Avignon ; soit ensemble comme dans Bingo! un loto musical mis en scène par Corinne Benizio (de l'hilarant duo Shirley et Dino) qui vient de faire escale au festival Orgues en ville de Besançon, ou comme dans ce premier album enregistré à la Ferme de Villefavard en Limousin, à laquelle la jaquette du disque adresse un automnal clin d'œil. Grand écart à tous les étages donc pour le Trio Musica Humana, adepte, on l'aura compris, de l'humour le plus décomplexé comme de l'intériorité la plus prégnante.
Le Trio Musica Humana ce sont trois maîtrisiens devenus grands. Ou en train de grandir, mus par l'envie commune, ainsi que l'explique très bien Lionel Sow dans la notice du disque, « de passer du temps ensemble ». Pour cela quoi de mieux que la musique ? Et, pour commencer, celle qui les réunit déjà une dizaine d'années plus tôt à la Maîtrise Notre-Dame de Paris : la Messe à trois voix de William Byrd, « une des rares messes mises en musique par des compositeurs anglais », réalise-t-on à la lecture de la notice. Trois voix à tous les sens du terme, puisque l'habituelle phalange chorale appelée à interpréter la messe se voit effectivement réduite ici à trois voix : celles du baryton Igor Bouin (découvert en Leporello avec l'Ensemble Justiniana), du ténor Martial Pauliat, du contre-ténor Yann Rolland (ces deux derniers échappés notamment de l'extraordinaire aventure du Requiem de Mozart « de » Roméo Castellucci et Raphaël Pichon). C'est d'ailleurs, avant même la première note, l'humaine expression de trois souffles communs que la très belle prise de son a tenu à capter en introduction de From Byrd.
Le disque est de ceux minutieusement conçus qui, bien qu'il ampute l'œuvre de son Credo (ce que l'on pourra déplorer), s'attache en contrepartie à la magnifier via le plus savant des compagnonnages. Troisième des messes du compositeur chéri d'Élisabeth Première (un catholique composant pour une protestante…), et dernière avant trois siècles, apprend-on encore ici, le dialogue qu'elle entretient avec des compositeurs de son temps (Thomas Weelkes, Thomas Tomkins, Giles Farnaby, Thomas Morley et John Johnson) s'avère des plus instructifs, en plus de ponctuer avec beaucoup d'à-propos le cérémonial.
Le mot cérémonial n'est pas trop fort pour qualifier la communauté de pensée musicale des trois artistes, dont les timbres spécifiques (on pense fort aux Purcell de Deller) se marient avec bonheur (les très fondants Falala du Four Arms de Thomas Weelkes). Ce rituel à trois voix révèle assez vite sa véritable nature lorsqu'il est rejoint par une quatrième : celle du muselaar d'Elisabeth Geiger ! Vue avec Vincent Dumestre, Hervé Niquet, Emmanuelle Haïm et Rosemary Standley (entre autres), la claveciniste évoque dans un texte très éclairant l'instrument méconnu qu'est le muselaar de type « Moeder en kind », virginal amélioré, avec ses deux claviers : l'un niché dans le sein de l'autre, comme l'enfant dans le giron de sa maman, et dont l'interprète peut jouer séparément ou simultanément, produisant un son « entre la harpe et la flûte », moins pointu que celui de l'illustre clavecin. L'instrument intervient en solo dès la troisième plage, puis revient imposer progressivement sa prenante singularité (dès l'irrésistible The Woods so wild notamment, après que les trois chanteurs lui ont cédé la place), Martial Pauliat se joignant à Elisabeth Geiger sur le For two virginals de Giles Farnaby et le ludique Rogero de John Johnston. La prise de son est encore une fois à louer qui donne l'impression, comme le « kind » du muselaar, d'être à l'intérieur de cet instrument étonnant, essentielle cheville ouvrière d'un disque sensoriel dont la mélancolie assumée fera contre toute attente l'effet d'un baume. Le rituel à trois voix était en fait un rituel à quatre voix.