Avec sa nouvelle création Inhale Delirium Exhale, la chorégraphe et plasticienne belge Miet Warlop interroge nos réactions individuelles et collectives aux différentes crises qui nous assaillent. Sa réponse très personnelle met en scène six artistes et… 5 000 mètres de soie en mouvement.
Cela fait vingt ans que Miet Warlop explore les arts plastiques, le multimédia et la performance, et ce n'est pas un hasard si cette artiste flamande a été choisie pour représenter la Belgique à la Biennale d'Art de Venise en 2026. Sa dernière création, Inhale Delirium Exhale, présentée à l'Espace Chapiteaux de La Villette à Paris dans le cadre du Festival d'Automne, est d'une grande originalité. Sans interruption, avec une énergie folle, les artistes sur scène se débattent avec une multitude de rouleaux de soie de tailles et couleurs différentes. Sans une minute de relâche, les corps s'agitent, tout comme les tissus, au gré des mouvements infligés ou de l'air envoyé par deux gros ventilateurs. La mise en scène est sobre mais inventive : fond noir, costumes noirs pour laisser toute la place à la matière qui tombe du plafond, se déroule d'un bout à l'autre de la scène, enveloppe les corps, les dissimule ou les révèle.
Avec ce travail incessant sur la matière produit par les danseurs au plateau, Miet Warlop entend donner corps à une agitation mentale, à une marée de sensations, d'images et de matières en mouvement. « Le tissu s'est imposé comme un moyen d'aborder la turbulence de notre époque, explique la créatrice. La soie épouse chaque geste. Elle est légère, modulable… En observant ses qualités, j'ai perçu un lien avec ce que nous vivons : une folie gigantesque qu'il faut pourtant apprendre à plier, à enrouler, pour parvenir à continuer à avancer… » explique la chorégraphe.
De fait, l'agitation est constante sur le plateau, et plus ou moins coordonnée. Les danseurs sont en prise avec la matière, tente de la canaliser ou de l'apprivoiser, mais elle résiste sans cesse. Les trois aspects du titre de la pièce sont bien là avec la respiration incessante, amplifiée par les ventilateurs qui transforment sans cesse la soie en vague géante, en ciel menaçant ou encore en animal carnassier. La folie ou delirium s'exprime également par moment lorsque les artistes poussent des cris ou se mettent à courir d'un bout à l'autre de l'espace. Toujours en mouvement, ils livrent une prestation physiquement impressionnante, bien que dénuée de fil narratif.
On entre dans cette performance intrigué, et on se laisse porter par les images véhiculées par les tissus colorés, notamment l'impressionnante vague qui engloutit à deux reprises une danseuse, ou un arc en ciel de soies colorées qui semble émerger des corps mêmes des artistes. Ces moments calmes contrastent avec la frénésie qui sévit sur scène le reste du temps, lorsque les rouleaux de tissu tombent du plafond par exemple, aussitôt saisis par les danseurs pour les dérouler ou les enrouler, etc. à l'image événements qui nous tombent dessus, qui s'accumulent et que l'on essaie, tant bien que mal, de gérer. Miet Warlop arrive à chorégraphier ce chaos et y insuffle de la poésie, ce qui, en soi, est une performance.
Crédit photographique : © Alexander Reinout
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