Jean-Adam Guilain et Jacques Morel sont deux compositeurs peu connus des mélomanes que Thomas Ospital met à l'honneur en compagnie de l'Ensemble Saint-Honoré. Une occasion très opportune de découvrir ces maitres et quelques mystères qui les entourent.
Dans la queue de la comète Louis Marchand, compositeur organiste du Roi, Jean-Adam Guilain brille à l'orgue d'un éclat particulier qui le hisse au niveau des meilleurs Livres d'orgue de son temps. Voilà bien une énigme musicale que plusieurs musicologues et historiens ont essayer de démêler, sans apporter de preuves irréfutables. Johann Adam Wilhelm Freinsberg est né dans le Saint-Empire germanique vers 1680. Il vient et s'installe en France en 1702. Il prend le nom francisé de Jean-Adam Guilain. Il se lie à l'organiste Louis Marchand dont on pense qu'il fut son élève. Sa vie reste énigmatique jusqu'à mettre en doute sa propre existence ou tout au moins la paternité de ses pièces d'orgue. De plus, un Livre pour le clavecin lui est attribué et d'écriture de moindre qualité que celle pour l'orgue.
Pour autant l'œuvre avec ses Magnificat est bien là et elle est fort belle. En effet le Livre est construit à l'image de ceux de ses contemporains en Suites de mouvements, ici conçues pour alterner avec le chant du Magnificat. Certains versets sont particulièrement réussis et peuvent rivaliser avec les plus belles compositions de ses contemporains. Il n'est que d'écouter le Récit de Tierce en taille, deuxième verset de la Suite du 2e ton, pour se convaincre de l'étoffe même de la plume de l'auteur. Certains auront pu avancer que Louis Marchand l'avait guidé dans cet art de la composition et quelque peu tenu la main, ce qui est probable.
Thomas Ospital aborde ces pièces avec une grand noblesse de jeu, en osmose avec l'acoustique généreusement captée par François Eckert où tout se révèle et se déploie avec force et raffinement. Ici les versets des Suites sont présentés sans l'alternance du Plain-chant, ce qui n'est pas obligatoire, les pièces se suffisant à elles-mêmes par la beauté de leur écriture. Ainsi divers mélanges de l'orgue classique français sont entendus successivement avec beaucoup d'attrait : Plein-jeu, Duo, Trio, Basse de trompette, Quatuor, Flûtes, Voix humaine, Cromorne et Tierce en taille, Grand-jeu…
On remarquera l'existence d'un Quatuor dans la Suite du 4e ton en souvenir de celui de Marchand. Il s'agit d'une pièce rare dans les divers Livres d'orgue qui permet d'entendre quatre sonorités différentes en même temps, ce qui est d'un effet très particulier et très agréable à l'oreille. Le grand théoricien et facteur d'orgue François Dom Bédos de Celles donne plusieurs possibilités de registration dans un chapitre de son célèbre traité.
Un compositeur contemporain de Guilain est présent sur ce CD, il s'agit de Jacques Morel, musicien à la cour et dans le sillage de Marin Marais. Violiste lui-même, il écrit pour son instrument plusieurs Suites pour la viole dont certains mouvements sont d'une écriture recherchée. La Chaconne en trio de la Suite n° 4, développée rappelle ces beaux mouvements de danse obstinée que tant de compositeurs ont utilisé au sein de leurs œuvres. Ainsi présentées les œuvres de Jacques Morel servent d'alternance aux pièces de Guilain, retrouvant ainsi un équilibre dans leur déclamation. L'Ensemble Saint-Honoré autour de Sacha Lévy à la viole solo et Valentin Rouget à la direction nous permettent de découvrir de manière heureuse la musique de Jacques Morel, tombée injustement dans l'oubli.