Le maître américain du minimalisme Steve Reich et son épigone français Christophe Chassol étaient au programme de l'audacieux concert de rentrée de la nouvelle saison de l'Atelier lyrique de Tourcoing interprété par le talentueux ensemble Miroirs Etendus.
Les sons de la vie new-yorkaise revisitée par Steve Reich d'un côté, une déambulation à travers le « Paris noir » de Christophe Chassol de l'autre. C'est un aller-retour original entre New-York et Paris, deux visions en miroir des musiques urbaines, que propose en ouverture de la saison de l'Atelier lyrique de Tourcoing le bien nommé ensemble Miroirs Etendus, dirigé par Fiona Monbet.
Steve Reich est l'un des pères de ce qu'on appelle la musique minimaliste ou répétitive. Il n'y a pourtant rien de minimaliste dans l'extraordinaire City Life (1995) donné en première partie du concert (également en ouverture de saison de l'Ensemble intercontemporain à Paris). Mais au contraire une musique dense, envoutante, puissamment lyrique, qui puise son incroyable énergie dans les sons de la rue, samplés et utilisés comme irrésistible pulsation de cette œuvre qui est comme un « reportage musical » au cœur de Manhattan. Bruits de klaxons, de moteurs, de marteaux piqueurs, cris, alarmes forment l'univers sonore de la mégalopole New-York. Steve Reich saisit ces sons et les réinjecte comme un beat hypnotique, digne de la techno actuelle, au sein de l'ensemble orchestral « classique » (cordes, bois, percussions, pianos et claviers électroniques). La musique de Steve Reich est ainsi constituée de cette pulsation continue, de boucles de notes qui tournent jusqu'à la transe, et de nappes de cordes et bois au lyrisme poignant. La formule peut paraître simple. Elle est en fait d'une grande complexité, demandant aux instrumentistes comme à la cheffe d'orchestre une précision diabolique dans la battue et dans l'assemblage méticuleux de la progression sonore. Les dix-huit musiciens de Miroirs Etendus (clin d'œil au célèbre Music for 18 musicians de Steve Reich ?) et leur directrice musicale Fiona Monbet sont des habitués de ce répertoire et ne flanchent jamais devant la méticuleuse architecture élaborée par Reich. Le résultat est totalement fascinant.
À sa manière, le musicien français Christophe Chassol (né en 1976) se veut l'héritier du maître américain. Suite à une commande de Miroirs Etendus et de Radio France, il a composé en 2024 Paris Noir, le pendant français en quelque sorte du City Life de Steve Reich. Christophe Chassol nous invite à une visite guidée de Paris vu par les écrivains noirs américains qui s'y sont installés (James Baldwin, Chester Himes, Richard Wright, etc). Chaque syllabe du discours devient une note qui s'insinue dans la partition orchestrale, comme du rap ou le scat du jazz. Connu dans le monde de la pop et du jazz, Christophe Chassol a composé une partition très « funky », parfois proche des expérimentations classiques d'un Frank Zappa. C'est amusant, plein de vie, parfois un peu trop bavard et systématique dans l'utilisation du discours parlé, mais on sent là aussi une vraie énergie. À l'image d'un concert singulier et fort intéressant.