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Festif hommage à Joséphine Baker cent ans après ses débuts au Théâtre des Champs-Élysées

En 1925, traverse l'Atlantique pour se produire pour la première fois en France au tout récent Théâtre des Champs-Élysées (inauguré en 1913) dans « La Revue nègre ». Cent ans après, la salle parisienne Art déco fête, avec un grand gala, cet évènement qui lança sa carrière. Tenue années folles de rigueur !

Exceptionnellement ce soir-là, les portes du Théâtre des Champs-Élysées sont ouvertes au public dès dix-neuf heures. Le hall grouille de monde, l'ambiance est joyeuse, chaleureuse, des airs de jazz années 30 proviennent d'un brass band installé sur la mezzanine. Le champagne coule déjà dans les coupes entre les doigts de dames en tenues années folles, cheveux crantés, barrettes à plumes et robes blousantes ceinturées bas…Elles sont accompagnées de messieurs portant nœud « pap » et écharpe blanche. L'esprit est à la fête ! Il y a cent ans, presque jour pour jour, s'y pressait le public venu découvrir, entre autres, cette jeune artiste noire venue tout droit des États-Unis, quasiment dévêtue, sa célèbre ceinture de bananes autour de la taille, dansant sur scène le charleston… suivront une centaine de représentations en France et en Europe.

Le théâtre a choisi de rendre hommage à , devenue française en 1937, entrée au Panthéon en 2021, en évoquant toutes les facettes de cette femme et artiste d'exception, qui fut chanteuse, danseuse, comédienne mais aussi héroïne de la résistance, militante des droits civiques …et mère de douze enfants adoptés. Le spectacle en quatre tableaux retrace les grands moments de sa vie, ses succès et ses engagements, rassemblant sur scène danseurs, chanteurs, musiciens dans une scénographie, dramaturgie et mise en scène imaginées par Joséphine Kirch.

 

Dans la fosse, l'Orchestre national d'Île de France dirigé par , qui en a réalisé l'arrangement, joue Un Américain à Paris de , tandis que sur scène, des musiciens de jazz arrivent petite valise à la main, et s'installent devant leurs pupitres à côté d'un piano à queue plongé dans la pénombre. Ambiance tamisée de cabaret. en robe de soirée, sur une estrade circulaire éclairée, interprète le tube emblématique de Joséphine, J'ai deux amours écrit par Vincent Scotto, que celle-ci chanta longtemps au Casino de Paris et partout ailleurs. On savoure cet instant auquel la chanteuse accompagnée par l'orchestre prête le velours et l'onctuosité de sa voix lyrique de façon très naturelle. Puis les cuivres rutilants de The Amazing Keystone Big Band, en tête, sont rejoints par la voix de qui micro à la main et accroche-cœur brillantiné sur le front, est aussi à l'aise dans l'évocation « corporelle » que dans sa façon très stylée de chanter The Trolley Song. La soirée commence très bien ! Et elle se poursuit avec des couples de danseurs qui exécutent avec brio des numéros façon fast boogie, sur le swing de Sing Sing Sing, ce tube pour big band repris dans les années 30 par Benny Goodman. Le deuxième tableau prend une autre coloration, car il y est question de la part d'engagement de Josephine Baker durant la Seconde Guerre mondiale. Par sa voix, la chanson J'attendrai créée en France par Rina Ketty devient un hymne pendant le conflit. en donne une interprétation vibrante, avant que dans la tenue militaire Armée de l'air de Josephine, sur fond d'images d'archives, ne prononce avec gravité et grande dignité le discours d'août 1963 resté célèbre pour son intervention militante en faveur des droits civiques auprès de Martin Luther King. La soprano referme ce tableau avec la chanson Quand je pense à ça, très applaudie par le public. Gershwin à l'orchestre ouvre à nouveau, cette fois avec Girl crazy, le troisième tableau qui montre l'icône des années folles dans la lumière de ses grands succès. Sur un grand écran, on la revoit peinte par van Dongen, photographiée, dessinée dans une réclame pour la brillantine «Bakerfix »… et aussi sous diverses formes d'objets de décoration. Un pianiste accompagne dans un extrait (5 A.M.) de Ziegfeld Follies (1936) lovée dans un fauteuil de Le Corbusier, petit clin d'œil à l'architecte dont la complicité amicale avec la chanteuse était de notoriété, tandis qu'en fond de scène des danseurs évoluent en ombres chinoises sur un halo blanc. Comment passer à côté du sensuel standard de jazz, sans doute le plus prisé des chanteuses de l'époque (on pense à Sarah Vaughan, Billy Holliday…) The man I love  de Gershwin, dont Josephine s'était emparée elle aussi ? Ici c'est qui en déroule langoureusement les mots, avec beaucoup d'élégance.

Josephine, dame au grand cœur, avait adopté douze enfants de toutes les origines qu'elle nomma sa « tribu arc-en-ciel ». Le dernier tableau met au centre ces enfants par la présence du chœur de la talentueuse (CRR Ida Rubinstein) dirigé par , venu interpréter auparavant le Chant des Partisans et le plus connu des Liebestraume de Liszt (orchestré par Victor Herbert). En tenues pastel, ils avancent sur scène franchissant des voiles blancs tandis que les danseurs évoluent sur la musique de Maurice Ravel. Une intense émotion est perceptible dans la salle lorsqu'ils chantent (accompagnés par Clémence Chabrand au piano) Dans mon village puis Somewhere (extrait de West side story de ) avec Pretty Yende/Joséphine qui les serrera affectueusement dans ses bras tour à tour…

Jouant sur les cordes de la joie et de l'émotion, cette soirée festive et enlevée prend fin sur la vraie voix de Joséphine, avec Demain, dont les paroles sont de l'artiste elle-même, diffusée sur fond de photographies projetées sur grand écran, comme un regard d'espérance sur les temps à venir. Un très beau portrait de celle qui fit ses débuts parisiens dans ses murs avec un spectacle bien monté et réjouissant.

Crédits photographiques :  photos 1 et 3 : © Robin Le Bervet ; photo 2 © Jean-Philippe Raibaud 

Modifié le 4/11/2025 à 11h16

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