Au Théâtre des Champs-Elysées, Evgeny Kissin avec Joshua Bell et Steven Isserlis dans un émouvant rendez-vous chambriste.
En ouvrant ce concert de façon inattendue par la Danse fantastique de Solomon Rosowsky, au thème tiré d'un air juif, les trois artistes nous transportent dans l'univers de la culture d'Europe centrale. Une rareté qui va au-delà du simple folklore et permet surtout d'introduire les œuvres suivantes en situant l'atmosphère générale de la soirée dans l'hommage aux proches et aux peuples disparus.
Monument de la musique de chambre, le Trio n°2 de Chostakovitch révèle les plus belles qualités de chacun des interprètes. Les nuances impressionnantes de Evgeny Kissin, la conduite pleine d'autorité de Joshua Bell, le lyrisme de Steven Isserlis (malgré un retrait sonore perceptible du 10ème rang) se conjuguent dans une vision commune. Cette œuvre grinçante, composée en 1944, mêle un tragique palpable dès les premières mesures à des accès parodiques typiques du compositeur, en particulier dans l'Allegro du deuxième mouvement. Après un troisième mouvement élégiaque survient le final sur un thème juif (Allegretto), particulièrement poignant compte tenu du contexte historique de composition. Kissin y libère toute sa puissance, tandis que Bell et Isserlis font entendre de bondissants pizzicati. L'œuvre s'achève sur une cadence au piano, écho du mouvement précédent, et un diminuendo des cordes extrêmement maîtrisé qui laisse une impression de fin du monde.
Véritable tombeau, dédié à la mémoire de son ami le compositeur Nikolaï Rubinstein, le Trio en la mineur de Tchaïkovski est abordé avec une noblesse toute romantique. Dans cette œuvre parmi les plus exigeantes techniquement, les trois interprètes trouvent les accents justes pour exprimer la douleur dès l'entame du premier mouvement (Pezzo elegiaco). L'évocation de la vie et de la mort du créateur, nichée dans les variations du deuxième mouvement, avec les phrases enfiévrées qui l'accompagnent, donne lieu à une démonstration de lyrisme qui ne verse jamais dans le pathos. Mais c'est certainement dans le finale introduit par le roulement furieux des accords de Kissin, puis sa coda en forme de marche funèbre, que culmine l'émotion en même temps que le macabre. Emmené par un Joshua Bell au sommet de son art, le trio parvient au cours de ces trois quarts d'heure intenses à une belle progression musicale et narrative. Seul regret, à nouveau : le violoncelle de Steven Isserlis en manque de projection. D'autant plus frustrant que l'inspiration est bien au rendez-vous.
En bis, l'Andante du Trio n°1 de Mendelssohn, exécuté avec la tendresse qui sied à une romance, apporte l'apaisement après ce programme dominé par des œuvres comptant parmi les plus sombres de leur compositeur.