Avec un orchestre et un chœur au sommet de leurs moyens dans un répertoire qui ne leur est pas si familier, le public munichois s'enthousiasme à juste titre.
On ne peut pas dire que Munich soit le lieu d'une réception particulièrement vivante de l'œuvre de Berlioz – l'échec cinglant des Troyens mis en scène par Christophe Honoré en 2022 n'a pas dû aider. Il reste donc quelques places vides pour ce Roméo et Juliette joué dans l'Isarphilharmonie, mais cela ne retire rien au grand enthousiasme du public à la fin d'un concert donné sans entracte. Robin Ticciati, qui dirige pour l'occasion les forces de la Radio bavaroise, n'en est pas à son coup d'essai avec cette œuvre qu'il a enregistrée dès 2018 et déjà souvent donnée en concert.
Même en France, on n'est pas à l'abri de dictions plus ou moins calamiteuses en français ; quand on voyage hors de France, les choses sont encore plus souvent problématiques. À Munich, le public n'est pas à bonne école en la matière, tant l'Opéra de Bavière montre d'indifférence à la question ; fort heureusement, le travail a été fait sérieusement ici pour les solistes comme pour le chœur de la Radio bavaroise, préparé par Peter Dijkstra. La tâche n'est à vrai dire pas facile pour les solistes, un peu perdus dans l'acoustique peu favorable de l'Isarphilharmonie, et qui peinent à prendre toute leur place. Le dialogue de Julie Boulianne avec la harpe de Magdalena Hoffmann s'en retrouve ainsi déséquilibré, comme si la harpe bénéficiait d'une amplification dont la voix se trouvait exclue – sans pouvoir garantir que cette bizarrerie acoustique était identique de toutes les places de cette salle problématique. La chanteuse n'y est pour rien, et au contraire elle fait tout ce qu'il faut pour tirer du pesant texte d'Émile Deschamps toute l'émotion qu'on peut y trouver. De même, Valentin Thill donne au récit de la reine Mab tout ce qu'il peut de légèreté et d'allant, avec une diction exemplaire – on ne peut pas dire que l'étrange projet dramatico-symphonique de Berlioz soit particulièrement abouti sur ce point. La satisfaction est bien moindre pour la basse : William Thomas en Frère Laurent manque d'autorité, de poids vocal, de matière sonore, et il n'esquisse pas de véritable interprétation de son rôle.
Mais les voix les plus importantes dans cette œuvre, ce sont naturellement celles du chœur. La réputation du chœur de la Radio bavaroise n'est plus à faire, mais on ne peut pas dire que Berlioz soit au centre de son répertoire : il démontre ici qu'il n'a que faire des frontières et que la musique française lui va aussi bien que le grand répertoire germanique ou la musique contemporaines auxquels on l'associe plus souvent. Le « petit chœur » du prologue trouve d'emblée le ton juste entre épique et élégie, avec une transparence du son fascinante qui contribue beaucoup à faire entrer le public dans l'émotion propre de cette œuvre étrange ; quand le grand chœur fait son entrée, ces qualités ne disparaissent pas : la légèreté des chœurs du bal, les affrontements entre Capulets et Montaigus, le serment final, tout cela permet aux chanteurs du chœur de montrer toute leur palette expressive.
Robin Ticciati montre avec l'orchestre de la Radio bavaroise qu'il a toute sa place dans la prestigieuse lignée des berlioziens britanniques, après Colin Davis ou John Eliot Gardiner. Ici, pas de place à la direction-spectacle à laquelle d'autres chefs de sa génération doivent leurs succès : sa grande connaissance de la partition lui a permis de mener avec l'orchestre une préparation soigneuse et précise, qui se sent notamment dans une rigueur rythmique qui, loin de figer le discours, l'impose à nous dans toute sa fraîcheur ; les musiciens de la Radio bavaroise préfèrent toujours ce travail de fond à l'improvisation du moment, et on les sent concentrés, attentifs au travail du son, chez les solistes – avec des grands moments pour la flûte solo notamment – comme pour les tutti.
Dans ces conditions, le chef peut leur demander beaucoup : on voit bien ici que le talent d'un chef ne fait pas tout, et que cette grande réussite n'est possible que parce qu'il sait donner aux musiciens de l'orchestre l'envie de donner le meilleur d'eux-mêmes, en acteurs de la réussite collective plutôt qu'en simples serviteurs d'une vision d'ensemble qui leur échappe. Ticciati et ses musiciens parviennent ainsi à créer une interprétation sensible, qui trouve le ton juste entre élans de passion et regard élégiaque.