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Aurélie Dupont, renouer avec le désir de danser

À l'occasion du centenaire de la , qui présente la tournée “Graham 100” à Roubaix, Lyon et au Théâtre du Châtelet à Paris, crée Désir, un solo inspiré de , chorégraphié par .

ResMusica : Comment est née cette aventure avec la ?

: Tout est parti d'un simple mail ! Quand j'ai quitté l'Opéra, j'avais encore envie d'apprendre, de chercher, comme je l'ai toujours fait. Je me suis souvenue de la technique Graham, que j'avais découverte à 13 ou 14 ans à l'École de danse, et qui m'avait profondément marquée. Alors, à 42 ans, à peine retraitée, j'ai écrit à Janet Eilber, la directrice de la compagnie, que je ne connaissais pas. Je lui ai dit : « J'aimerais apprendre davantage. Puis-je venir travailler avec vous ? » Elle m'a répondu immédiatement : « Tu es la bienvenue, viens quand tu veux. »
J'ai pris mon billet d'avion, débarqué à New York, et passé quelques jours extraordinaires dans leurs studios. À mon retour à Paris, Janet m'a recontactée pour me proposer de revenir travailler une pièce avec eux. Ce fut ma première collaboration avec , danseuse et chorégraphe française de la compagnie. Une expérience fondatrice.

RM : Vous avez ensuite invité la à l'Opéra de Paris…

AD : Oui, c'était un juste retour des choses ! En devenant directrice de la danse, j'avais la possibilité d'inviter une compagnie étrangère à Garnier une fois tous les deux ans. J'ai tout de suite pensé à la Dance Company, qui n'était pas venue à Paris depuis 1991. Lorsque Janet m'a annoncé qu'ils acceptaient cette invitation, elle m'a proposé de danser Ekstasis, un solo mythique de . J'ai accepté et inséré une clause dans mon contrat me permettant d'être sur scène. Danser à Garnier avec eux était un moment d'une intensité rare.

RM : Et aujourd'hui, vous revenez sur scène à l'occasion de la tournée « Graham 100 » ; comment cette nouvelle invitation s'est-elle faite ?

AD : Il y a environ six mois, Janet Eilber m'a écrit : « Nous serons en tournée en France ; nous aimerions t'inviter. » Je pensais qu'elle m'invitait à venir voir les spectacles… Mais non, elle m'invitait à danser ! Cela faisait quatre ans que je n'étais pas montée sur scène. J'ai eu un moment de doute : en étais-je encore capable ? J'ai appelé Philippe Guiboust, un ami et agent artistique, qui m'a dit : « Arrête de penser que tu es trop vieille ! Donne-toi trois mois pour voir. » J'ai repris les cours de danse, de pilates, je me suis remusclée. Trois mois plus tard, j'ai su que je pouvais le faire. Et j'ai accepté.

« Revenir à Martha Graham, c'est renouer avec la part la plus essentielle de mon désir de danser » 

RM : Parlez-nous de Désir, ce solo que vous avez créé avec

AD : Virginie et moi voulions créer une pièce originale, en écho à la technique Graham mais adaptée à mon corps d'aujourd'hui. Le solo s'inspire de trois photos de Martha Graham prises en 1927 : des poses très expressives, presque sculpturales, d'une puissance incroyable. À partir de ces images, Virginie a imaginé une chorégraphie qu'elle a intitulée Désir. Nous avons travaillé dix jours, cinq heures par jour, à Paris. La musique est signée du compositeur et pianiste-percussionniste Kenji Bunch, qui a longtemps accompagné au piano les cours de la compagnie. C'est une partition minimaliste pour piano – très épurée, avec de longs silences – que j'ai apprise par cœur, note par note.

RM : Comment s'est déroulée la création à deux ?

AD : Ce fut un dialogue permanent. Virginie proposait des mouvements, je les prolongeais, elle ajustait, validait ou non. Nous avons aussi conçu le costume : une robe fluide et près du corps, créée par Anne-Marie Le Grand, ancienne cheffe d'atelier de Garnier. La robe, dont le tissu élastique m'enserre jusqu'aux chevilles, a déterminé certains choix chorégraphiques : il fallait jouer avec la contrainte, trouver la liberté dans la retenue.

Le travail était d'une grande douceur. J'ai retrouvé le plaisir du studio, cette sensation unique d'être à la fois dans la recherche et dans l'écoute du corps. Ce qui me passionne, c'est le processus : la recherche, la construction du mouvement, l'écoute du corps et de la musique. Le spectacle, c'est le résultat ; le bonheur, c'est le chemin.

RM : Qu'avez-vous ressenti en retrouvant la scène après plusieurs années ?

AD : Les premières répétitions ont été étranges : me revoir dans le miroir, sentir le corps hésiter… puis tout est revenu. Ce n'est pas tant la « représentation » qui m'avait manqué, mais la scène elle-même, ce moment suspendu où l'on quitte la coulisse pour entrer dans une autre peau. C'est une bulle qui n'appartient qu'à ceux qui la traversent. J'ai réalisé que si je refusais cette proposition, j'en refuserais d'autres – et je ne voulais pas fermer cette porte.

RM : La technique Graham a-t-elle un sens particulier pour vous aujourd'hui ?

AD : Oui, c'est une technique qui correspond profondément à mon corps et à ma manière de ressentir la danse. Ce travail du centre, du souffle, des courbes, de la contraction, tout cela me parle. À treize ans déjà, j'avais compris qu'il y avait là une autre façon de bouger, de penser le mouvement. Revenir à Graham aujourd'hui, c'est renouer avec cette sensation d'intensité physique et émotionnelle, avec le plaisir pur du geste.

RM : Cette expérience rouvre-t-elle une envie de danser davantage ?

AD : Je ne sais pas. Je ne me projette pas. Peut-être qu'il y aura d'autres projets, peut-être pas. Je le vis comme une rencontre, pas comme un “retour”. Ce solo est une création sur-mesure, sincère et joyeuse. Je le fais avec gratitude, pour le plaisir d'être à nouveau traversée par la danse. Et pour dire, simplement : le désir est toujours là.

Crédits photographiques : @Nicholas MacKay – MACKAY PRODUCTIONS ; dans Ekstasis de Martha Graham @ Benoite Fanton / Opéra national de Paris ; Martha Graham Dance Company @ M.Sherwood ; Aurélie Dupont dans L'anatomie de la sensation de Wayne McGregor @ Opéra national de Paris

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