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Ravel par Nelson Goerner : loupés de luxe

Si souvent inspiré en concert, interprète d'une discographie remarquable, le pianiste argentin déçoit pour la première fois dans son dernier album consacré à Ravel. 

Inquiétude dès les premières mesures de l'écoute du Concerto en sol. En effet, l'orchestre épais, sans carrure rythmique affirmée et capté avec mollesse laisse plus que dubitatif. Le piano de Goerner est, hélas, à l'unisson : contemplatif dans cette musique qui caresse et mord tout à fois. Bien que les changements de climats de la partition soient incessants, les contrastes s'amenuisent, les couleurs se ternissent. Le soliste émerge parfois de la masse, mais sans véritable intention. Dans le mouvement lent, le contrôle du son est avec Goerner, d'une perfection sans faille et tout autant sans direction. Délicatement nimbé, le piano ne peut donner l'illusion d'une improvisation, ce qui était le souhait de Ravel. Il se laisse aller dans la phrase sans éviter quelques maniérismes dans ses échanges avec la petite harmonie. Une fois encore, l'enregistrement nimbé et les interventions solistes des pupitres trop téléguidées par ne peuvent convaincre. Le Presto final s'ouvre sur quatre accords martelés. La course-poursuite s'engage, la virtuosité de chacun étant mise à l'épreuve. Tout est bien en place, pétillant d'intentions, mais sans le moindre angle saillant. L'ennui s'installe. Poliment.

Dans le Concerto pour la main gauche, l'orchestre s'alourdit plus encore, non pas pour créer un effet de masse sonore culminante avant l'entrée du piano, mais parce que l'énergie lui fait défaut. Le piano émerge du magma où règne sans partage le contrebasson. Point de swing, de réminiscences de jazz, de rythmes chaloupés malgré l'excellent saxophone. L'ensemble se traîne jusque dans les explosions de marches. Goerner et Yamada transforment la partition en une épopée à la sauce postmoderne totalement déconnectée des saveurs et de l'élan qui l'ont vu naître. Incompréhensible. [ndrl : lire notre compte-rendu sur le même programme au Festival Enescu de Bucarest en septembre dernier.]

Dans leur version pianistique, les Valses nobles et sentimentales manquent tout autant de légèreté et de simplicité. Pourquoi marquer autant les contrastes au lieu de suggérer une énergie robuste dans la première valse ? Cela s'arrange dans le rêve mélancolique jouant sur des harmonies acides de la deuxième valse. Plus convaincantes sont les danses suivantes et l'on regrette d'autant plus une prise de son épaisse dans les basses, un toucher collé littéralement au clavier. Rien qui nous émeuve autant que les témoignages de Martha Argerich, Bertrand Chamayou, Samson François, Friedrich Gulda, Marcelle Meyer, Ivo Pogorelich, Vlado Perlemuter… Enfin, réduire la Pavane pour une infante défunte à une musique de fond pour dîner à la bougie apparait tout à fait inutile.

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