Emmanuel Eggermont déploie ses mille et une nuances de bleu dans All Over Nymphéas, qu'il transmet au CCN Ballet du Rhin. Première à la Comédie de Colmar de cette délicate et précieuse recréation.
Emmanuel Eggermont est ce que l'on appelle un auteur. Un chorégraphe dont on reconnaît immédiatement le style et l'écriture. C'est avec ce grand styliste du mouvement que les danseurs du Centre chorégraphique national Ballet du Rhin ont eu la chance de travailler pour réactiver All Over Nymphéas, créé en 2022 pour sa compagnie L'Anthracite. C'est la première fois qu'Emmanuel Eggermont transmet une pièce à une autre compagnie que la sienne, et il profite de disposer du Ballet du Rhin pour étoffer le dispositif à neuf danseurs, au lieu de cinq à la création, ce qui démultiplie les possibilités.
Un style, donc, reconnaissable entre mille, qui fait d'Emmanuel Eggermont un véritable designer du mouvement. Chaque danseur a construit, dans le cadre du processus de travail, un personnage avec des phrases dansées et une gestuelle signature. Un poignet doucement incliné et un bras tendu pour l'une, une onde proche du voguing pour l'autre, des mains qui encadrent délicatement le visage pour une troisième. La combinaison de ces phrases revêt un caractère aléatoire dans l'espace, que chaque danseur s'approprie librement. L'espace est lui-même un personnage majeur de All Over Nymphéas. C'est cette scénographie qui apporte la dimension la plus plasticienne à la pièce, entre ses découpages savants de moquette bleu Klein et ses tubes de métal disposés en l'air comme des tubes d'un carillon ou les tuyaux d'un orgue, une scénographie signée Jihyé Jung. Dans cet univers géométrique et graphique, les danseurs évoluent comme les notes sur une partition musicale. Croche, double croche ou ronde, ils jouent leurs mélodies en s'accompagnant d'accessoires chatoyants ou de costumes inattendus.
À chaque instant, le spectateur est surpris ! Par un défilé comme sur le Catwalk d'une maison de mode ; par un costume extravagant, doudoune XXL et lunettes de star, blouson à paillettes et jupe fendue ; par le chatoiement de matières inédites, feuille de métal doré comme des plastrons antiques ou plexiglas teinté futuriste ; par une plaque que l'on porte devant son corps comme Christophe Salengro, ex-président de Groland et danseur de Decouflé le faisait dans une célèbre publicité des années 90 pour les dalles Gerflor.
Chaque danseur a saisi la proposition que lui faisait le chorégraphe et est allé à fond dans l'exploration des combinaisons chorégraphiques et spatiales et l'on se prend à s'immerger dans un jeu de cartes où chaque personnage a son univers et son style, dans une grande diversité et fantaisie de formes.
Le résultat, presque kaléidoscopique, est plus proche d'un tableau de Kandinsky que des Nymphéas de Monnet, dont le chorégraphe admet s'être inspiré. Seul le principe du « all over », permettant une immersion totale dans la toile, est ici respecté en référence au peintre de Giverny. Reste l'absolu plaisir des yeux et les oreilles, avec une partition très organistique et électronique de Julien Lepreux et le jeu savoureux qui s'instaure entre les danseurs, absolument parfaits, et la musique. L'écriture est ultra contemporaine, précise et rigoureuse, et chacun s'en empare avec une très grande maîtrise et qualité de mouvement.
On se souviendra longtemps de Julia Weiss, une des deux interprètes qui a repris le rôle créé par Eggermont, dans son tutu improvisé de cellophane irisé. Ou de Leonora Nummi, la princesse du voguing, avec ses nattes rousses. Ou encore de Jesse Lyon en bombers, crâne rasé et délicatesse cachée. Et de tous les autres merveilleux interprètes… Chacun d'entre eux est unique et capable de s'insérer dans cet ensemble, comme les joyaux singuliers d'une couronne aux reflets précieux.
Crédits photos © Agathe Poupeney
Pour en savoir plus, lisez notre entretien avec Emmanuel Eggermont, personnalité chorégraphique de la saison 2024-2025 :