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Marina Rebeka, éblouissante Lucrèce Borgia à Séville

Portée par la mise en scène de banalement inscrite dans l'air du temps, cette Lucrèce Borgia sévillane de vaut surtout par la bouleversante incarnation vocale et scénique de dans le rôle-titre.

Bien que rompue au répertoire belcantiste qu'elle pratique depuis de nombreuses années (Rossini, Donizetti, Bellini) prête pour la première fois sa voix à Lucrèce Borgia. Une prise de rôle périlleuse vocalement et nécessitant une endurance soutenue qui se doit d'être associée à une incarnation scénique complexe afin de donner jour à toutes les facettes du personnage excessivement diabolisé par Victor Hugo.

S'inspirant de façon assez libre du drame hugolien, le livret de Romani fait porter essentiellement « la difformité morale la plus hideuse et la plus repoussante » au Duc Alfonso, confinant Lucrèce dans un rôle romantique ambigu qui s'apparente plus à celui de la victime qu'à celui du bourreau, tour à tour mélancolique, pathétique, vengeresse, depuis la douceur du célèbre Com'ѐbello du Prologue lors de la reconnaissance de Gennaro, en passant par la violence de l'affrontement avec le Duc de l'Acte I lorsqu'elle essaie de sauver son fils, pour finir par le désespoir et la mort dans la scène finale de l'acte II.

La mise en scène de , peu convaincante, s'inscrit dans une mouvance théâtrale actuelle qui relève d'un nouvel académisme fait de violence et de crudités dont le seul but est de choquer le chaland sans apporter ni aucun argument pertinent ni véritable réflexion au livret. La transposition temporelle de la Renaissance italienne dans l'Italie fasciste ne confère que peu de poids supplémentaire à la dramaturgie et se réduit à un étalage ostentatoire et facile de sang, de violence sexiste, d'inceste (avec un intelligent rappel du Petit Chaperon Rouge) et de viols qui se déroulent dans un abattoir aux murs tachés de sang… Les éclairages blafards, les costumes hideux, les chorégraphies ridicules (cours de gymnastique et danse de cabaret) participent de cette lecture sans véritable enjeu sociétal ou psychologique.

Heureusement la musique (voix et orchestre) nous prodigue largement ce que la mise en scène nous refuse. Pour sa prise de rôle, s'affirme d'entrée de jeu comme une Lucrèce sur qui il va falloir compter, par son engagement scénique comme par la facilité, la souplesse et l'élégance naturelle de son chant porté par un sublime legato, un large ambitus, une grande richesse en nuances et une impeccable projection. Face à elle, parfait ténor belcantiste avec son timbre lumineux et velouté et son phrasé délicat plein de charme et d'élégance, constitue une très belle découverte  dans le rôle de Gennaro. campe un Maffio Orsini, pétulant, alliant fraîcheur et virilité, dont le chant joliment ouvragé, mais à la projection un rien limitée, recueille tous les suffrages du public dans son fameux air du toast « il segreto per esser felici ». Krzysztof Baczyk incarne avec brio un Duc Alfonso intrigant, cruel et plein de hargne alliant une prestation scénique irréprochable à la souplesse et à la profondeur de sa basse. Les autres comprimaris, Jorge Franco (Jeppo Liverotto), Pablo Gálvez (Don Aposto Gazella), Julien Van Mellaerts (Ascanio Petrucci), Cristiano Olivieri (Olofermo Vitellozzo), Matías Moncada (Gubetta), Moisés Marín (Rustighello), Alejandro López (Astolfo) et le magnifique chœur de la Maestranza, tous bien chantants, complètent avec brio cette distribution homogène.

Dans la fosse, l'un des atouts majeurs de cette production réside dans la direction de , véritable maître du belcanto, dirigeant le splendide Real Orquestra Sinfonica de Séville en suivant un phrasé tout en relief, chargé de couleurs et de nuances, en soutenant les voix avec grâce, sans jamais les couvrir, dans un parfait équilibre, et en utilisant des tempos et des accentuations caractéristiques du style de Donizetti qui soulignent la portée dramatique de la partition.

Une production attendue depuis 1905, date de la dernière apparition de Lucrèce Borgia sur une scène sévillane avec une prise de rôle parfaitement convaincante de Marina Rebeka.

Crédit photographique : © Guillermo Mendo-Teatro de la Maestranza

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