Pour la première fois dans l'histoire du disque un interprète propose une intégrale de l'œuvre musicale de Louis Couperin, grand musicien français membre d'une célèbre dynastie. L'approche de Jean Rondeau sur cinq clavecins et deux orgues est exceptionnelle à plus d'un titre. Un ensemble orchestral et vocal complète judicieusement l'œuvre pour clavier, représentant une grande fresque historique et musicale du XVIIᵉ siècle français.
Louis Couperin est avec son neveu François le plus illustre d'une famille de musiciens, natifs de Chaumes en Brie et qui ont illuminé de leur art le XVIIᵉ siècle français. Fils de Charles Couperin « dit l'ancien » ancêtre de la dynastie, le jeune Louis est remarqué par Jacques Champion de Chambonnières, fondateur de l'école de clavecin français qui l'invite à Paris en 1650. Dès 1653 Louis devient titulaire de l'orgue de l'église Saint-Gervais, tribune parisienne prestigieuse. Cette charge perdurera dans cette famille jusqu'à la fin du XIXᵉ siècle. Claveciniste et organiste, il laisse à la postérité des compositions pour ces deux instruments ainsi que quelques œuvres pour un petit ensemble d'instruments.
Le clavecin occupe une place de choix avec 134 pièces et l'orgue avec 75. Divers manuscrits sont conservés portant les noms de Parville, Bauyn et Oldham. De nos jours ces textes ont fait l'objet d'éditions dont certaines ont tardé, notamment celle pour l'orgue qui était détenue en privé depuis 1957 par Guy Oldham. Au cours des années 60, Michel Chapuis réussit à obtenir une série de quelques pièces issues de cet unique manuscrit et dont il fait un enregistrement en 1965 pour Archiv Production à l'orgue Clicquot de Souvigny. En 2003, le monde musical découvre enfin la totalité de l'œuvre pour orgue grâce à l'édition supervisée par Davitt Moroney.
Ce qui nous est proposé aujourd'hui est pour la première fois la totalité de l'œuvre, essentiellement répartie sur cinq clavecins remarquables et deux orgues historiques. Le coffret, outre dix CD comporte un DVD qui met en scène Jean Rondeau ou tour à tour il explique sa passion pour ce compositeur et sa rencontre auprès de sa professeure Blandine Verlet. On peut l'écouter aussi sur le merveilleux clavecin Ruckers du musée Unterlinden de Colmar dans l'une des nombreuses Suites. Il y a une immersion totale dans le son du clavecin, capté de manière naturelle dans une acoustique favorable à son épanouissement. C'est ce que l'on retrouve tout au long des CD. Aline Blondiau enregistre grâce à un unique couple de micros disposé en hauteur des instruments, ce qui leur confère une aération exceptionnelle. Chargée de la production et de la direction artistique, elle fut ici, aux dires de l'interprète une alliée précieuse, contribuant à la réussite de l'ensemble.
Jean Rondeau a regroupé la plupart des pièces de clavecin en Suites de danses par tonalités, variant ces ensembles par le choix de cinq clavecins historiques ou copies d'anciens. Les esthétiques sont plurielles, françaises, flamandes et italiennes. Il faut s'attarder sur la manière déclamatoire de l'interprète à propos d'une musique qui n'est que discours et silences… Jean Rondeau aborde le clavier avec profondeur et à la fois un minimum de mouvements qui font sonner chaque corde de l'instrument avec un maximum d'expression musicale. Les tempi ne sont jamais excessifs, laissant libre cours à une rhétorique puissante et suspendue par un geste pétri de chant et de silences.
Au travers de ce compositeur de génie, on découvre un Jean Rondeau organiste, dans cette tradition des maîtres anciens pratiquant les deux instruments à clavier. Il s'impose à nous à Bolbec et à Juvigny auprès de deux instruments historiques remontant au XVIIᵉ siècle, excellemment restaurés dans leurs sonorités originales au diapason et tempérament anciens. A l'instar du clavecin le toucher de l'organiste se montre redoutablement efficace, pétrissant le clavier pour en retirer toute sa force ! Il est clair cependant que les auteurs anciens écrivaient différemment lorsqu'il s'agissait de l'orgue ou du clavecin, ce qui fait parfois douter quant à la paternité unique de l'œuvre entière.
On a pu se demander ainsi si ces compositions étaient bien de la même plume, puisque aucune source originale de la main même de Louis Couperin n'est connue à ce jour. Le doute peut subsister et Jean Rondeau apporte peut-être un début d'éclairage en nous proposant, et c'est inédit, plusieurs versions d'une même pièce à l'orgue, au clavecin et avec l'ensemble instrumental. Ainsi la Pavane en Fa dièse mineur figure dans trois versions. Une telle tonalité inhabituelle sur un tempérament ancien suscite des questions afin que la pièce demeure agréable à l'oreille et se nourrisse convenablement par des intervalles judicieusement disposés. La pièce est transposée à l'orgue dans une autre tonalité, ce qui était d'un usage fréquent. C'est Philippe Pierlot qui a transcrit cette Pavane pour son ensemble d'instruments dont il assure la direction.
Les pièces d'orgue oscillent entre Fantaisies de type profane et Hymnes anciennes vouées à la liturgie, harmonieusement ponctuées ici par le chant de trois voix féminines. Elles sont le reflet d'un art issu de la grande polyphonie portée par Jehan Titelouze et se tournant désormais vers un nouveau discours, introduisant peu à peu l'art de la mélodie. Il en va de même pour les pièces de clavecin, décoratives et charmeuses au travers de ces Danses multiples jusqu'aux Chaconnes et Passacailles, envoutantes et témoins d'un art supérieur. Il invente semble-t-il le Prélude non mesuré où seule une trame de notes suggère une exécution de type improvisée.
A l'écoute de ses contemporains, Couperin rend hommage en musique à Johann Jakob Froberger, autre génie allemand du clavier. Il est porteur d'histoire, de tradition et de ses propres inspirations qui le projettent vers l'avenir. Son discours nous parle encore profondément plus de 350 après. Avec Jean Rondeau, d'autres auteurs s'invitent dans ce coffret en une fête du clavier, pour montrer la place et le rayonnement de Louis Couperin en son temps.
Cette somme musicale représente le fruit d'un travail remarquable construit en plusieurs années. Le livret riche de 150 pages nous offre des textes précieux et une iconographie très soignée, avec une description détaillée des instruments utilisés. D'autres interprètes ont déjà magnifié Louis Couperin : Gustav Leonhardt, Blandine Verlet, Skip Sempé ou Davitt Moroney… Avec Jean Rondeau et sa vision intégrale de l'œuvre, nous disposons désormais d'une référence incontournable.