En dépit de quelques éléments de décor un peu kitsch, une belle mise en scène (déjà captée en 2014 à Rouen par Alpha) pour le chef d'œuvre théâtral de Purcell. Solide distribution, dominée par une Sonya Yoncheva en royauté.
Le présent album permettra aux mélomanes de visionner, en format DVD ou Blu-Ray, le spectacle présenté à l'automne 2024 à l'Opéra Royal de Versailles. Nous avions dit dans nos colonnes toute la dimension poétique d'un spectacle entièrement conçu par deux artistes issus du cirque, Cécile Roussat et Julien Lubek, dotés néanmoins, notamment avec Mozart, d'une certaine expérience de l'opéra.
Pour une raison relativement obscure, l'action de l'ouvrage se situe dans les fonds marins, le mouvement des vagues étant figuré en fond de scène par une série de draps tendus de part et d'autre du plateau. Le spectacle alterne ainsi des moments de pure féérie avec des scènes un peu moins heureuses à l'esthétique quelque peu kitsch comme par exemple quelques assez vilaines rocailles qui encombrent le plateau, la pieuvre hydrocéphale censée incarner la sorcière du premier acte ou le monstre marin tué par Énée au deuxième. On retiendra surtout de cette proposition la légèreté diaphane des danseurs, funambules, trapézistes et autres acrobates qui suspendent le temps par la magie de leur gestuelle et de leur chorégraphie. L'adjonction de diverses pièces orchestrales, non identifiées sur la notice de présentation mais vraisemblablement de la main de Purcell ou de ses contemporains, permet de prolonger ces instants de grâce, le spectacle, proposé en deux parties coupées au milieu du deuxième acte, parvient ainsi à durer près d'une heure trois quarts. Autre moment de magie, la scène de la mort de Didon lorsque la robe de cette dernière se dénoue à l'infini pour former la vague dans laquelle elle finit par être entièrement engloutie. Des images précieuses d'une infinie poésie, en parfaite harmonie avec le texte de l'opéra et avec la sublime musique de Purcell.
Dominée par une Sonya Yoncheva aux opulents moyens vocaux, presque surdimensionnés pour ce personnage de l'opéra baroque, la distribution est dans l'ensemble d'un bon niveau vocal. En Énée, Halidou Nombre possède une voix puissante et richement timbrée, tout en manquant de souplesse vocale pour un personnage qu'il rend décidément peu sympathique. Sarah Charles, en revanche, est une fraîche et accorte Belinda, au soprano à la luminosité toute cristalline. Elle est entourée en « Second Woman » du soprano tout autant prometteur de Lili Aymonimo. De belles prestations également du côté des sorcières, avec notamment le ténor d'Attila Varga-Tóth, que l'on retrouve aussi en Marin du troisième acte. Très bien chantant, le jeune Arnaud Gluck qui prête au personnage de Spirit son contre-ténor raffiné et musical, que l'on entend ici dans l'une de ses premières incarnations scéniques. Très belle direction de Stefan Plewniak à la tête de l'Orchestre de l'Opéra Royal, incisive et énergique dans les mouvements dansés, élégante et élégiaque dans les pages plus mélancoliques de la partition. Très sollicité dans cet opéra pourtant très court, le Chœur de l'Opéra Royal livre une lecture très convaincante de la musique de Purcell, particulièrement adaptée à l'espace du théâtre de Versailles, à la dimension idéale pour ce petit ouvrage auquel une mise en scène innovante et originale rend toute sa théâtralité.