Après Cendrillon, le Lac des cygnes ou encore Coppélia, Jean-Christophe Maillot, qui dirige les Ballets de Monte Carlo depuis plus de 30 ans, s'attaque au chef-d'œuvre de Marius Petitpa : La Bayadère. Il en livre une version très personnelle.
La Bayadère de Jean-Christophe Maillot n'a rien de l'exotisme original de la pièce créée par Marius Petitpa et dont l'action se situait en Inde parmi les danseuses sacrées d'un temple. Pour Ma Bayadère, le chorégraphe a choisi de montrer une réalité qu'il connaît bien : un studio de répétition investi par une compagnie de danse en train de répéter le ballet créé par Petipa, et les tensions entre les différents protagonistes : étoiles, jeune danseuse talentueuse, maître de ballet, chorégraphe.
Une barre de danse occupe le fond de la scène et permet quelques très beaux moments. Au centre du premier acte, Niki alias la merveilleuse Juliette Klein attire tous les regards, en particulier ceux du maître de ballet Brahma, interprété par Michele Esposito et du danseur étoile Solo, l'électrisant Ige Cornelis, pourtant déjà engagé auprès de Gamza, l'étoile de la compagnie. Le décor est planté, les personnages principaux ont fait leur entrée, les germes du drame et de l'imbroglio amoureux sont plantés.
Malgré la virtuosité des danseurs, la mise en place, qui semble plus jouée que dansée, manque d'allant et semble s'étirer en longueur. La troupe entière est réunie au plateau et seuls quelques morceaux de bravoure (solo de Juliette Klein ou duo de Romina Contreras qui interprète magistralement Gamza, avec Ige Cornelis notamment) viennent animer ce début de premier acte. Il faut attendre la reprise de la Danse infernale dans la chorégraphie d'Alexei Ratmanski d'après Marius Petitpa pour que le public s'enthousiasme.
Jouant à fond la carte de la mise en abyme, le chorégraphe prend finalement la salle par surprise en théâtralisant la chute de Nikki comme un accident réel, suivi d'un baisser de rideau impromptu que certains confondront avec la fin du premier acte. Mais bientôt le rideau se lève à nouveau avec un joli et astucieux décor de temple indien signé Jérôme Kaplan, qui laisse voir « les coulisses » sur ses côtés. On peut alors y voir toute la difficulté et le dilemme des artistes lorsqu'il faut danser malgré tout, même après un drame, même quand le cœur n'y est pas. Cette dichotomie entre les répétitions qui doivent se faire coûte que coûte et les sentiments des interprètes est très intéressante et met en valeur la puissance théâtrale des solistes du Ballet de Monte Carlo dont la réputation des danseurs n'est plus à faire. Jean-Christophe Maillot sait sublimer le travail des danseuses sur pointes et donne la part belle aux sauts, impressionnants.
Le deuxième acte, beaucoup plus court, se situe au royaume des ombres, dans un décor épuré tout en blancheur, comme les costumes des danseurs. Ici tout est harmonie et douceur. Les personnages principaux se retrouvent au centre d'un cercle formé par l'ensemble des autres danseurs, au sol, pour un très beau tableau. Plusieurs danses en petits groupes permettent ensuite d'apprécier le travail d'autres interprètes.
Avec Ma Bayadère Jean-Christophe Maillot met en scène un ballet ambitieux, de grande envergure « fait d'émotions qui nous ressemblent avec des gestes qui nous rassemblent » comme il aime à le dire. Ce ballet, très personnel mais assez inégal, qu'il a choisi de recréer dans un milieu qu'il connaît parfaitement pour y avoir passé toute sa carrière, pour ne pas dire sa vie, mêle l'intime et l'universel. Comme toujours, il présente dans une synthèse harmonieuse le vocabulaire académique et une approche contemporaine réussie. Cette création mondiale de Ma Bayadère au Grimaldi forum de Monte Carlo marque les 40 ans des Ballets de Monte- Carlo, créés sous l'impulsion de la princesse Caroline de Hanovre, présente à la première.