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Fantaisie zoolo-chic privée de Saint-Saëns au Festival de Radio-France et de Montpellier

Salle archi-comble au Corum ce 25 Juillet pour une production originale et à grand spectacle du Carnaval des Animaux, et l'un des concerts les plus courus du Festival. En ouverture, la musique originale de Ma mère l'Oye pour piano à quatre mains, confiée à , lesquelles prennent place sous des applaudissements nourris. Habitué sans doute au Ballet que Ravel en tira en 1912, on doit faire un léger effort, somme toute bien agréable, pour rentrer dans sa prime intimité pianistique.

Les deux sœurs, de toute manière, possèdent sans conteste la délicatesse réclamée par ces miniatures. Toujours aussi virtuoses et quelque peu assagies, elles convainquent sans difficulté par une grande douceur de toucher, et une vive aptitude aux changements d'affects ; leur synchronisme est demeuré parfait sur toute la largeur de la gamme. Tout juste manque-t-il un moyen terme, au fil des minutes, entre l'usage du pp et du ƒƒ, ce qui est légèrement frustrant.

Entracte précoce, et place donc à une version scénique du Carnaval confiée à . L'affiche est prestigieuse : sur un texte de Marie Darrieussecq, l'auteur de Truismes, un discours de soi-même. Dispositif complété par la lecture en voix off (Aurore Clément) de bonnes feuilles animalières d'écrivains plus illustres, des danseurs – dont Katrine Boorman -, un diaporama et un décor plutôt bleu. Les Labèque tiennent les deux pianos, entourées d'un petit ensemble où brillent entre autres les noms de Manuel Fischer-Dieskau et . Séduisante conception de principe, en vérité : le petit bijou d'esprit de Saint-Saëns ouvre toutes grandes les portes de l'imaginaire, et pas seulement enfantin ; sa vis comica n'excluant en rien les échappées poétiques. Il n'y a donc pas de contresens préalable à offrir au Carnaval une imagerie et – pourquoi pas – un récit.

Mais attention : l'exercice est dangereux. S'inspirer de la veine descriptive d'une musique picturale à souhait est bon ; l'utiliser comme prétexte pour libérer à l'extrême ses propres fantasmes outrepasse les limites de l'interprétation : c'est de la confiscation. Une incrustation vidéo ne doit jamais en imposer à une partition qui ne fut pas pensée pour la scène. C'est pourtant ce qui survient ; et ni des reproductions de Giotto et Dürer, ni de répétitifs envols d'oiseaux, ni des portraits de Carole Bouquet ou (tout ceci à satiété) ne peuvent composer une paraphrase. Ce serait plutôt une marqueterie chic.

Après que le préambule solennel d'Aurore Clément a débouché sur une chorégraphie élémentaire, resservant les dons excaliburiens de Mlle Boorman, la salle retient son souffle à l'arrivée tardive de Depardieu, en tenue pour Urgences. Il tente avec toute sa bonne volonté de donner souffle incantatoire à une litanie baleinière, essai de Petit Prince réécrit par Marguerite Yourcenar – n'étant ni l'un, ni l'autre hélas ; et le statisme imposé par Scarpitta à l'acteur devient assommant. Un bruitage tendance faune marine, aussi vide de sens que nuisible à la musique, achève d'exaspérer l'oreille.

Plus fâcheux : ainsi que le précise la narcissique plaquette, qui fait totalement fi de Ravel, « le livret ne suit pas de manière scrupuleuse les quatorze pièces de Saint-Saëns ». C'est le moins qu'on puisse dire : durant d'interminables soliloques zoologiques, et même depuis le début, on se demande pour quoi sont là les instrumentistes. Dommage : chacune de leurs interventions (les Labèque, Fischer-Dieskau par exemple) est proprement hypnotique. Superbe mais éphémère idée : la clarinette de promène le chant du Coucou de droite et de gauche parmi l'obscurité du parterre.

Pourquoi, dès lors, ne pas s'en être tenu à ces facétieuses trouvailles, si proches du spirituel compositeur, dans l'excellente acoustique de l'immense Corum ; et avoir convoqué à grands frais artistes et stratagèmes sans cohésion interne véritable ? Tassés, côté jardin, dans la plus grande pénombre, tous ces merveilleux musiciens ont passé la soirée comme Saint-Saëns : escamotés.

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