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Des Italiens dans le Gers

Festival « Éclats de Voix »

La Dolce vita in Gascogna. S'agirait-il, par le plus étrange des hasards, d'un titre de rareté rossinienne exhumée à Pesaro après avoir été enfouie dans les sables mouvants de l'injuste oubli ? C'est un drôle de voyage virtuel – non pas à Reims, mais à Auch – qui entraîne le mélomane-wanderer dans les méandres de l'italianité éclatante. Expérience unique de téléportation, d'ethnologie géomusicale… Ne seraient-ce point plutôt les effluves embaumés de cette si belle région de France aux champs toujours verts, auréolés d'une luminosité typiquement toscane, qui enfièvrent les sens dudit festivalier ; au point de lui faire accroire qu'il débarque dans un pays d'éternel printemps au ciel toujours bleu ?

En fait, il s'agit de la thématique forgée par le maître de céans, Patrick de Chirée, lequel s'est lancé un double défi : d'abord, changer la cité auchoise – qui abrite en son sein une conséquente communauté italienne – en un état paradisiaque, un fragment d'Italie suspendu en apesanteur au-dessus de la terre gersoise ; tel un coruscant et léger mirage. Ensuite, réaliser un acte authentique de décentralisation culturelle, en convoquant in loco de prestigieux artistes – nantis d'une renommée internationale. Force est de reconnaître l'indéniable réussite de cette audacieuse entreprise : la gothique Cathédrale en devient une réplique exacte de la Basilique saint Marc !

Le théâtre local endosse les atours d'or et d'argent de la Scala. Les eaux limpides de l'Arno ont pris possession du lit du vénérable Gers. Première source de ravissement : le Duetto da Camera. Soledad Cardoso, dotée d'un timbre melliflu et à l'émission claire, est un véritable oiseau-chanteur – un bouton d'or fraîchement éclos de la Manécanterie de , sise à Royaumont. D'ailleurs, les duos se transforment en exquis quintettes de chambre pour voix, théorble, clavecin et violoncelle. Les voix s'unissent, bruissent et alunissent sur l'enchanteur clapotis d'une instrumentation ruisselante ; telle une fine pluie de gouttelettes d'or. Ce sont les trois flamboyantes arias de Frescobaldi, formant une Cantate profane semble-t-il, qui constituent l'apogée de la roborative soirée. La soprano argentine y jette son ardeur communicative, entrecoupée d'accents pré-médéens d'une poignante intensité.

Autre atmosphère le lendemain, avec La Barca di Venezia, pantomime burlesque à l'humour corrosif, comédie madrigalesque complètement farfelue – une exquise branquignolerie avant l'heure, composée en 1608 ! C'est déjà « la Croisière s'arrose », célèbre feuilleton américain des années 80, narrant les mésaventures rocambolesques des passagers d'un bateau. Si les solistes amateurs n'ont jamais choisi la facilité, ils se tirent à merveille des pièges d'une écriture polyphonique diablement retorse. Second motif de ravissement : la soirée Vivaldi, précédée d'une bacchanale org(u)iaque sous les augustes voûtes. Il est peu de mots idoines pour tenter d'approcher l'ineffable sensation de bien-être que produit l'Hymne sacré de Frescobaldi, pour orgue et plain-chant en alternance.

L'instrument s'approprie l'espace sonore, l'inonde d'une cascade de grondements cristallins ; et le chœur s'apparente à une mosaïque d'éclats lunaires, originaires d'un empyrée cosmique, se dématérialisant sur le clavier de l'orgue onirique. Après la débauche d'ornements luxueux, et le feu d'artifice de vocalises (extraordinaire ) qui enguirlande le Magnificat de Vivaldi – faux opéra sacré –, le temps fort de la soirée est l'opalescent duo entre la soprano (, toujours) et le hautbois baroque, dans ce vitrail musical que constitue le Gloria du père Antonio.

Il eût été fort dommage de ne point assister, lors du dies dominica, à la Messe aux douces inflexions de sobriété, d'humilité et de simplicité, écrite par  ; compositeur et organiste. Emaillée d'impalpables dissonances, et d'accords célestes qui rappellent le grandiose Psaume LXXX de Roussel – en passant par celui de – cette Messe des Paroissiens redonnerait l'élan mystique à un bataillon de mécréants ! La Campanella, et la voix « semper vivens » de l'archevêque d'Auch en ont restitué une image fidèle. Du reste, aurait pu faire sienne la phrase d', auteur d'un Requiem pour la Paix : « la Musique peut atteindre l'inexprimable, car elle est d'essence divine. Alors que la plupart des Arts se content d'interpréter ; elle est capable, elle, de créer quelque chose du Néant. »

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