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Moussorgski, « Boris de Marbre »

C'est non pas la version originale de 1869 de Boris Godounov ni les révisions de Rimski-Korsakov ou de Chostakovitch qu'a retenues l'Opéra Bastille, mais celle que Moussorgski réalisa lui-même en 1872, dans laquelle sont en outre réintégrés des éléments de la version 1869, avec la scène de Saint-Basile.

Ainsi, l'œuvre atteint une dimension épique et humaine particulièrement bouleversante, soulignée par l'orchestration volontairement mal dégrossie, que d'aucuns considèrent comme un mélange de génie et d'amateurisme, et qui donne à l'ouvrage sa parure à la fois sauvage et flamboyante. Ce que sait particulièrement mettre en avant , qui a dirigé pour la première fois cette œuvre en 1971 à Spoleto, à l'âge de 21 ans. Le chef américain fait sonner avec un éclat inhabituel les singularités harmoniques et la verdeur cuivrée de cette seconde version. Conlon brosse néanmoins de Boris Godounov une lecture claire mais qui ne surprend ni n'émeut.

Le scénographe Wolfgang Gussmann et la metteur en scène se cantonnent dans une mise en place grandiloquente et primitive, mettant comme il se doit l'accent sur le peuple et les mouvements de foule, Moussorgski réservant aux chœurs une place prépondérante. Absence totale en revanche de direction d'acteur, la gestique étant réduite à de simples mouvements et à une gestique grossière. Décors et costumes de Gussmann (rouge boyard, bleu peuple, tsar argenté, blanc orthodoxe) donnent à ce spectacle un caractère froid et peu exaltant.

Coincé entre des parois aux contours rocheux, un immense et abrupt escalier évoque la dureté d'un pouvoir au pied duquel le malheureux peuple russe vient choir au gré des flux incertains de l'histoire. Les appartements du Kremlin sont plantés à l'avant-scène telle une boîte aux abondantes icônes mordorées, représentation par trop redondante du remords qui tenaille continûment le tsar. Le contraste avec l'acte polonais et ses dégradés de noirs, est tout aussi superflu, car l'on sait combien la tyrannique nation catholique en veut à la tragique Russie orthodoxe, dans ce décor surplombé de grands piliers de marbre, qui, une fois à l'horizontale, accueilleront au dernier tableau le faux Dimitri parvenant au pouvoir. Excellente dans son ensemble, la distribution, majoritairement russe, avec un zest de bulgare, d'allemand et d'américain, ne peut rien à l'affaire. Voix sombre et d'une présence extraordinaire, campe une impressionnante Marina, (Varlaam) et Vladimir Matorine se situent sur le même registre, et si l'on peut relever de légères défaillances dans l'aigu chez l'Américain (Dimitri), il faut saluer la prestation du Bulgare Julian Konstantinov, timbre séduisant et carrure de colosse, qui, après un début peu engageant, entre peu à peu dans son personnage et brosse une mort d'une grande intensité.

Restent les chœurs, qui, comme on le sait, tiennent une place prépondérante dans Boris Godounov. La prestation, remarquable, de l'ensemble de l'Opéra de Paris, est malheureusement ternie par un équilibre déficient avec la fosse.

Crédit photographique : Julian Konstantinov (Boris), Anke Vondung (Fyodor), Ekaterina Morosova (Xenia) (image en une) ; (Marina), (Dmitri) (image ci-dessus) © Eric Mahoudeau

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