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Tornades (dé)concertantes

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Programme a priori alléchant, mais qui aura finalement rebuté plus d'un spectateur considérant le peu de remplissage du Théâtre Mogador en première partie et le nombre de départs à l'entracte. Pourtant, on ne peut plus dire que ces œuvres de Serge Prokofiev et n'appartiennent pas au « grand répertoire », et depuis longtemps.

Le Concerto en ré pour cordes d' qui ouvrait le concert donne le ton de l'ensemble : le contresens musical. , ex-directeur de l'Orchestre Philharmonique de Nice, laisse dans cette œuvre pleine d'ironie un sentiment mitigé. Le premier mouvement manque de netteté rythmique et d'articulation, créant la désagréable impression d'une mise en place hasardeuse. L'Andantino central devient un Adagio tant le tempo pris est lent, le transformant en un « nocturne » que l'on croirait tiré d'une symphonie de Samuel Barber ou Leonard Bernstein – avec en prime le doux ronflement d'une soufflerie à l'arrière-scène. Le finale est au contraire très nerveux, et l'accentuation entre passages « lyriques » et saccadés y est mise en évidence, les interprètes semblant être plus à l'aise.

Le Troisième Concerto pour piano de Prokofiev est connu pour être une forme « d'éruption volcanique musicale », mais ici ce fut plutôt un pugilat entre chef et soliste… commence à toute vitesse, privant le solo initial de clarinette de sa plénitude. L'articulation n'est pas toujours nette et les décalages fusent. , dans cette course de haies, fait ce qu'il peut avec plus ou moins de bonheur. Ce qui devait être un feu d'artifice s'est finalement révélé un jeu d'esbroufe efficace, le public n'ayant pu se retenir d'applaudir après le premier mouvement. La partie de piano du deuxième mouvement laisse plus de liberté au soliste, qui, enfin à l'aise, nous livre sa vision de l'œuvre : toute référence au romantisme est gommée au profit d'une lecture motoriste et percussive. Une interprétation peu commune, qui peut soulever des interrogations, mais reste dans l'esprit de l'époque de la création. Si ce n'est que Klaus Weise nous réserve encore la grosse artillerie orchestrale, sans nuances ni finesse. A sa décharge, l'acoustique catastrophique de Mogador ne l'aide pas non plus à œuvrer en finesse. Le dernier mouvement est un festival de mauvais goût : les décalages entre orchestre et solistes sont flagrants, Béroff transforme son piano en xylophone et Weise son orchestre en batterie-fanfare napoléonienne. Triomphe sans réserve côté public… plus acquis à la cause de qu'à celle de Prokofiev. Le pianiste est resté dans le XXe siècle pour ses bis : La Fille aux cheveux de lin de Debussy, joué de manière sèche et objective, et un extrait de la Suite en plein air de Bartók, page aux effets saisissants de clair-obscur et clin d'œil à la suite du programme (le thème central de cet extrait est repris dans le Concerto pour orchestre).

Enfin le Concerto pour orchestre de Bartók, troisième volet de ces « folies concertantes »… Le mouvement initial est à l'image de ce qui a précédé : trop rapide, aucune couleur ne se dégage, manque d'articulation de l'ensemble, qui sonne « balourd ». Le « Giuoco delle coppie » résume à lui seul le titre de l'œuvre : les instruments à vent sont associés par deux et dialoguent avec l'orchestre. Néanmoins ce « giuoco » manque singulièrement de fantaisie. L'ensemble sonne très sec (peut être la faute, encore une fois, à cette acoustique catastrophique et assourdissante), les quelques amples phrases mélodiques manquent de volume et la battue lourde et empesée de Klaus Weise nous prive de l'aspect ludique et dansant de ce morceau. L'« Elégie » centrale est une « musique nocturne » typique de Bartók, qui, quelle que soit l'interprétation, ne peut sonner à Mogador, en raison de l'absence de réverbération. Il n'empêche qu'une fois de plus la rapidité des tempi du chef enlève sa part de mystère à ce mouvement et les solos du pupitre d'altos, qui se doivent de sembler improviser, sont bien trop mesurés. Dans l'« Intermezzo interrotto », Klaus Weise est plus à l'aise, faisant transparaître l'ironie contenue dans la métrique irrégulière de ce mouvement. Le « Finale » riche en cuivres sonne tel un rodéo – mimiques du chef en sus, singeant Bernstein – quelque peu embourbé dans une battue enlevée pour un résultat final brouillon et peu soigné, mais qui par sa fausse virtuosité a su conquérir le public… L'ONDIF, orchestre sans chef (le remplaçant de n'a toujours pas été annoncé) n'avait pas besoin de cela.

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