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Un Bruckner à visage humain

Orchestre Philharmonique de Liège /

En conviant , c'est l'un des héritiers d'une longue et prestigieuse tradition de grands chefs allemands que l'Orchestre Philharmonique de Liège a invité à son pupitre, élève d'Hermann Abendroth et d'Hermann Scherchen, collaborateur de Karajan à Berlin, a occupé quelques postes éminents en RDA, Philharmonie de Dresde, Berliner Symphonie-Orchester, avant d'entamer une carrière nord-américaine qui l'a mené à des fonctions à Dallas, Detroit puis Toronto, en plus d'invitations à diriger régulièrement les plus grands orchestres américains. Depuis 2001, il a pris la tête de l'orchestre de la SWR de Saarbrucken.

Face à cette somme d'expérience, la carrière du jeune semble encore bien courte, mais elle s'est engagée sous les meilleurs auspices, remplaçant Maurizio Pollini à Chicago à l'âge de quinze ans, jouant avec les meilleurs orchestres (Chicago, Boston, Paris, … ), ayant enregistré plusieurs disques (sonates de Mozart et Beethoven chez Lyrinx) très appréciés, le pianiste marseillais, élève de Bashkirov, est l'une des valeurs montantes de la jeune génération.

Un chef prestigieux, un soliste jeune et à la renommée grandissante, un programme intéressant (on ne joue pas encore assez Bruckner en Belgique), ce concert avait de quoi exciter les appétits du mélomane exigeant.

Dans le royal premier mouvement du concerto n°22 de Mozart, Günther Herbig mène son orchestre avec allant, énergie et un rien de férocité, sans l'empois solennel qu'y mettent certains, et lorsque , au jeu simple, franc et direct, fait son entrée, la rencontre se fait éruptive, piano et orchestre se livrant un mano a mano sans merci, jusqu'à la cadence, menée tambour battant par le pianiste, mais brutalement interrompue par un orchestre léonin.

Dans l'andante, le piano chante son désespoir sans affectation ni mièvrerie, les instruments à vent se font consolateurs, mais ce sont les cordes, impérieuses et brutales, qui auront le dernier mot, faisant retomber le pianiste dans sa tristesse initiale. L'allegro final est pris d'un souffle, à toute vitesse, mais sans que le pianiste renonce à la clarté ni ne bouscule ses phrasés, jusqu'au merveilleux andantino cantabile central, idéalement poétique, avec un retour vers le tempo initial magnifiquement mené, le concerto se terminant en une apothéose virile, fraternelle et triomphante.

Tout au long de ce concerto, l'orchestre se montre irréprochable, avec des instruments à vent dont les interventions, o combien nombreuses et importantes, sont d'une justesse et d'une précision remarquable. Après ce très grand et très mémorable concerto, offre la Fantaisie impromptue de Chopin en bis au public liégeois.

La 9e symphonie de Bruckner qui suit, dirigée de mémoire par Herbig, évolue sur les mêmes sommets. A la suite d'une introduction mystérieuse et d'un premier thème solennel dans lequel les cuivres se couvrent de gloire, le deuxième thème, aux phrasés très soignés, est d'un lyrisme chaleureux et passionné, les cordes se parant de mille couleurs. La suite du mouvement pourrait se résumer en deux mots : grandiose mais pas écrasant, car quand Günther Herbig prend de la hauteur, il emmène son auditoire avec lui sur les cimes.

Le chef allemand, soucieux de tout faire entendre, tient les cuivres en respect, évitant qu'ils ne submergent le reste des instruments, il soigne les interventions des bois, et traite parfois son orchestre comme une vaste formation de chambre.

Le scherzo est tétanisant et brutal, les pizzicati endiablés des cordes faisant penser à un sabbat de sorcières qui serait rythmé par les coups de boutoir de quelque géant, le trio apportant à l'auditeur de cette danse macabre un répit de courte durée.

La vision de Herbig est plus humaine et objective que céleste et mystique, la preuve par un adagio à l'émotion contenue, dont le lyrisme sobre a le mérite d'ouvrir des portes vers une fin possible plutôt que de forcer l'auditeur à entendre ce mouvement comme un hypothétique adieu à la vie.

Il est dommage de devoir terminer cette symphonie par l'adagio, une reconstitution du finale aurait été bien plus excitante à entendre, mais au moins Günther Herbig ne le dirige-t-il pas comme une apothéose monumentale, respectant ainsi partiellement le vœu de Bruckner qui n'en voulait pas comme mouvement final, mais qui souhaitait plutôt qu'on jouât son Te Deum comme quatrième mouvement au cas où la mort l'aurait empêché de mener à bien ce dernier.

Prestation en tout point remarquable d'un OPL très discipliné et homogène, aux cordes puissantes et précises, aux bois savoureux et fruités, et aux cuivres sonnant avec le brio dont ils sont coutumiers.

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