- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Salomé dans la cale d’un vaisseau…

Nouvelle escale d'une production mémorable qui a déjà hissé pavillon à Saint-Etienne, dans une distribution légèrement différente. Lire à ce propos la chronique de notre consœur Catherine Scholler.

La saison 2004/2005 de l'opéra de Nice finit donc en beauté. Avant l'été, il reste Turandot au palais Nikaïa à la mi-juin (critique à suivre sur Resmusica). Dans le splendide écrin de la salle de l'Opéra, le premier chef-d'œuvre de s'est pleinement déployé ; une générosité maîtrisée des effectifs dont le travail de la fosse s'est particulièrement distingué. L'opulence vénéneuse de l', sous la baguette de a démontré de réelles affinités avec l'univers straussien. Les instrumentistes ont su cultiver la part du mystère et du fantastique –à la manière des toiles de Gustave Moreau, et cette hypertension continue entre Eros et Thanatos, désir et meurtre qui font de Salomé un opéra lunaire et sanglant, cruel et érotique. Le chef a canalisé le flux dramatique, soignant chaque épisode sans perdre sa vision expressionniste. Comme pendant à ce continuum musical extrêmement convaincant, la mise en scène de s'est révélée respectueuse de l'efficacité de la pièce, en particulier de son urgence tragique. Et la fin qui imagine la cage du Prophète glissant à l'endroit de Salomé pour la décapiter offre un retour saisissant de l'histoire.

Avec Salomé, Strauss aborde une figure féminine absolument fascinante, dont il explicitera ensuite le rapport à la mère (Elektra) et qui annonce déjà, -dévoreuse irrésistible : Lulu. Les décors et les lumières insistent davantage sur l'expression scandaleuse du désir : désir de Salomé pour Jean-Baptiste, désir du Tétrarque Hérode pour Salomé… Le paroxysme est atteint avec la Danse des sept voiles, très savamment réglée grâce aux trois danseurs qui forment la suite souple et silencieuse de la Princesse. Les initiateurs de cette Salomé « française » ont insisté sur la légitimité historique des représentations chantées en français. Strauss lui-même, après avoir achevé la composition de la partition en 1905, décidait de renouer avec la langue qui avait inspiré Oscar Wilde. Pour ne pas rompre l'équilibre du texte et de la musique, il sollicitait l'aide de pour coller au plus près, dans le respect de l'accentuation naturelle et de l'articulation du français… Au cours du spectacle, le résultat est aussi probant que la Salome allemande que nous avons l'habitude d'entendre : un texte finalisé par le compositeur lui-même qui renforce la violence impudique de la musique : tour à tour chambriste et d'une perversité admirable, éperdument lyrique, visionnaire aussi car en renouvelant la part de la catastrophe et du tragique, il tisse un maillage harmonique qui préfigure Schœnberg.

A Nice, les chanteurs ont parfaitement assuré la succession de Saint-Etienne : palmes obligatoires pour l'Hérode Antipas de  : infantile, pervers, capricieux ; pour l'Hérodiade puissamment articulée de Sylvie Brunet qui cependant aurait gagné à jouer plus en subtilité sa relation quasi animale avec sa fille Salomé… malgré des problèmes vocaux en début de prestation, campe un Jokanaan assuré invectivant sans mesure le vice et la luxure ambiante. Notre réserve ira hélas vers le rôle-titre. Non que la chanteuse génoise, Irene Cerboncini, n'ait pas le caractère vocal du personnage mais son élocution très accentuée, a semblé contredire la volonté d'orthodoxie linguistique défendue par les promoteurs de cette Salomé française. En particulier dans la dernière scène où captivée par le chef tranché de Jokanaan, la fille d'Hérodiade demeurait inintelligible. Qu'on regrette ou non la version germanique, la production francophone a rétabli dans sa portée poétique une partition exceptionnelle. Que l'Opéra de Nice se soit associé à l'exhumation d'une Salomé « revisitée » et tout à fait « autographe » a permis à la salle de renouer avec son histoire musicale où sur les mêmes planches furent créées en version scénique des œuvres importantestelle La prise de Troie de Berlioz (1891) ou Marie-Madeleine de Massenet (1903).

Crédit photographique : © Opéra de Nice

(Visited 708 times, 1 visits today)