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Aux confins du son, l’altiste Christophe Desjardins joue Berio et Feldman

Si le violoncelle a eu Rostropovitch pour faire exploser les carcans de son répertoire traditionnel, l'alto connaît depuis quelques temps une période faste sous l'impulsion de Gart Knox et de qui se démènent sans compter pour apporter un nouveau regard sur cet instrument toujours mal-aimé.

fait partie de ce que l'on pourrait nommer « la génération intercontemporain ». En effet, avec le, tout aussi trentenaire, violoncelliste Jean-Quihen Queras qui a également fréquenté les pupitres de l'ensemble de la Cité de la musique, ils comptent parmi les archers les plus intéressants du moment pour leurs choix de répertoire. Ce programme s'articule autour de deux figures majeures mais opposées de la musique de vingtième siècle : Berio et Feldman.

est depuis longtemps au répertoire de l'altiste puisqu'on lui doit un enregistrement de sa Sequenza VI et il est le créateur avec de son double concerto Alternatim pour clarinette et alto. Véritable sorcier des sons et des collages, le compositeur italien aura toujours été poussé par une volonté de transcender l'opposition entre musique « savante » et musique « populaire ». En 2001, il contacte l'altiste pour lui proposer une collaboration autour d'une pièce de 1985 qui mêle l'alto, la percussion et une bande qui diffuse les chants d'un chanteur de Palerme. D'une vingtaine de minutes Naturale est un enchantement permanent. La musique populaire se dissout avec l'alto alors que la percussion se fait évocatrice. Sans aucunes facilités cette pièce musicale et sensuelle est l'une des plus grandes réussites de Berio dans le domaine de la musique de chambre. Beaucoup plus ancienne, la partition Chemins II (1967), issue de Sequenza VI, s'envisage comme une « étude sur la répétition d'une même séquence harmonique ». Cette pièce, volcanique et éruptive, est d'une redoutable difficulté. L'alto se situe aux limites de la virtuosité alors que le petit ensemble de dix instruments s'interfère frontalement dans le discours musical. En dépit de la performance technique de , cette pièce, plus intellectuelle que subtile, ne convainc pas totalement.

est un compositeur qui déchaîne les passions. Sa musique qui évolue aux limites de l'audible, perturbe notre conception du temps musical. Si certains voient en Feldman un compositeur de génie qui sait faire chatoyer les couleurs des instruments tout en apportant un regard neuf sur l'art de composer, d'autres le jugent comme un artiste plus soucieux de creuses facilités que d'art. Pièce emblématique de son œuvre, Rothko Chapel est écrite pour alto, soprano, chœur mixte et instruments. Composée pour être jouée dans l'édifice religieux texan orné des toiles du célèbre peintre Mark Rothko, cette partition confronte l'abstraction propre à tout art et le désir émotionnel qui caractérise le fait d'être humain. Dès lors la partition est un dialogue entre l'alto qui donne vie à l'humain et le chœur qui représente l'abstraction. Dans cet univers d'immobilité symbolisé par le chœur, l'alto est le seul instrument mobile de cette réalisation qui s'impose comme l'un des chefs d'œuvre du compositeur new-yorkais. Viola in My Life II apparaît comme un travail sur les timbres des instruments et sur le discours musical. Seule la différenciation des timbres permet d'isoler l'alto du groupe instrumental alors que l'oreille se fond dans l'univers en apesanteur de cette partition. Dans ces deux créations, l'auditeur se retrouve baigné dans un monde sonore unique, tout à la fois étincelant et fascinant.

Tout au long de ce parcours, Christophe Desjardins est accompagné par un jeune ensemble de musique contemporaine helvète : le Collegium Novem Zürich et par un ensemble vocal : les Basler Madrigalisten. Ces excellents musiciens sont placés sous la direction de . Ce chef d'orchestre britannique qui fut le directeur musical de l', occupe actuellement le même poste auprès de l'orchestre symphonique de Bamberg. Il est assurément l'une des baguettes à suivre comme en témoignent ses excellents enregistrements des symphonies de Schubert et sa cinquième symphonie de Mahler pour le label suisse Tudor. Grand connaisseur des musiques contemporaines, il se met au diapason de son soliste pour nous livrer un grand disque indispensable à notre connaissance de l'alto et de la musique de la seconde moitié du vingtième siècle.

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