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Die Frau ohne schatten de Richard Strauss, hymne aux enfants à naître

Une attente de 37 ans! Le public bruxellois aura du attendre autant de temps depuis la précédente production de la Femme sans ombre au Théâtre Royal de la Monnaie (en 1968 sous la direction d').

Il faut dire que cet opéra de , fruit de la collaboration entre le compositeur et son ami Hugo van Hofmannsthal accumule les difficultés. Outre un livret à la symbolique multiple (la maturité, la dimension sociale, la procréation…), la nomenclature orchestrale est impressionnante alors que les chanteurs doivent surmonter une écriture vocale ébouriffante tout en habitant des personnages complexes et pétris de contradictions. Œuvre ambitieuse de deux grands virtuoses de leur art, la Femme sans ombre n'évite pas quelques lourdeurs dramatiques et une débauche d'effets orchestraux tout en restant l'un pilier de la littérature lyrique du XXe siècle.

Le grand triomphateur de la soirée est le directeur musical Kazushi Ono. Le chef japonais connaît son sur le bout des doigts depuis son passage comme assistant de l'immense Wolfgang Sawallisch au Staatsoper de Munich. Par sa direction nerveuse et dynamique mais lyrique et précise, Ono évite tout alourdissement d'une orchestration plus que généreuse. L'orchestre de la Monnaie, chauffé à blanc lui répond à merveille. Les cuivres et les vents se couvrent de gloire dans les passages les plus redoutables. Acclamé par le public, le chef rencontre enfin un succès à la hauteur de son travail. Espérons qu'avec ces prestations, il arrive enfin à trouver la clef du cœur des bruxellois qui regrettent encore la latinité exacerbée de l'ancien directeur musical Antonio Pappano. C'est d'autant plus dommage que le Nippon est intrinsèquement un chef d'une toute autre envergure que l'anglo-italien.

Réussir la Femme sans ombre nécessite une distribution de premier plan et la Monnaie a mis les petits plats dans les grands pour réunir une affiche de chanteurs rompus à cette partition. Le théâtre bruxellois s'est même offert de luxe d'avoir en alternance deux grands Barak : qui a enregistré le rôle sous la direction de Georg Solti mais qui ne l'avait pas encore chanté en Belgique et , Teinturier de haute réputation depuis ses participations à différentes productions dont celle désormais légendaire d'Homoki au Châtelet. Faisant ses débuts dans cette production à l'occasion de cette soirée, le baryton français impressionne par sa présence scénique et par son chant empreint de style et de noblesse qui rend à merveille les interrogations de son personnage face à des évènements dont il ne comprend pas le sens. Sa femme est chantée par la wagnérienne Gabrielle Schnaut. Même si le timbre n'est plus particulièrement beau, la technique et l'engagement scénique restent impressionnants. L'Impératrice est interprétée par la viennoise Silvana Dussmann dont la projection et la puissance vocale sont au-dessus de toute critique mais au risque de certaines duretés du timbre essentiellement au premier acte. Pour ses débuts tant attendus sur la scène bruxelloise et au regard de sa déjà forte notoriété, le ténor Jon Villars déçoit quelque peu. Certes, le style, la projection en imposent, mais en plus de quelques étrangetés au niveau de la technique, il manque une identité au timbre pour hisser sa prestation au niveau de ses partenaires. Micheala Schuster est une formidable Nourrice vocalement et scéniquement idéale. Les différents rôles de comparses sont tenus avec la même classe. Tous ces artistes méritent une mention spéciale pour leur capacité à chanter dans un théâtre surchauffé par un temps déjà estival alors qu'ils sont affublés de costumes d'une épaisseur hors de propos.

Le metteur en scène canadien avait gratifié le public d'une approche originale du Roi Arthus d'Ernest Chausson (en octobre 2003). Sa conception de la Femme sans Ombre plaît mais sans convaincre totalement. Des multiples messages de l'œuvre, le canadien ne semble retenir que la procréation : Barak est un peintre expressionniste abstrait dont les toiles représentent des fœtus plaqués sur la silhouette de sa femme, les veilleurs de nuit promènent des landaus et un couple d'enfants se promène à plusieurs reprises sur la scène…. Cet aspect de l'œuvre est certainement réducteur, d'autant plus que Jocelyn retombe dans un tic déjà observé dans l'opéra de Chausson : le statisme. Cependant aidé par les somptueux décors d'Alain Lagarde, le metteur en scène arrive à servir, sans ennui, les évènements. Le couturier est en passe de devenir le costumier en chef de la Monnaie puisque qu'après Il Re Pastore et Eliogabalo, il reviendra la saison prochaine pour Cosi fan tutte. Très occupé ou en panne d'inspiration, la star française de la mode ne s'est pas trop creusée l'esprit comme en témoignent les atroces robes du chœur féminin. En dépit de quelques réserves, ce spectacle clôture en feu d'artifice une saison bruxelloise trop avare en très grands moments.

Crédit photographiques : © Johan Jacobs

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