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Une esthétique du Merveilleux

Concert au bénéfice de la Médiathèque musicale Mahler

Pour ce concert du mercredi 9 novembre donné au bénéfice de la médiathèque musicale , , lui-même membre du comité artistique de l'association, était à la tête de l'Orchestre Philharmonique et du pour défendre une fois encore – et avec quelle prestance – les grands maîtres de la modernité dans un programme des plus séduisants qui devait aussi ravir le plus grand nombre : Ma Mère l'Oye de Ravel, les trois Nocturnes de Debussy et l'Oiseau de Feu de Stravinsky dont il donnait la version moins courante du ballet intégral.

Rappelons d'abord que la médiathèque Mahler fut fondée en 1986 sous l'impulsion de son Président d'Honneur Henry Louis de La Grange – qui viendra saluer le public en fin de concert – et qu'elle compte aujourd'hui parmi les premières sources documentaires sur la musique offrant à tout public une bibliothèque-discothèque-partotèque, un centre de documentation, des fonds d'archive et un studio avec piano pour le déchiffrage. Bien que très largement subventionnée par les services publics, elle reste un organisme privé et lançait, en direction du public venu très nombreux ce soir, une invitation à rejoindre le Comité de soutien qui constitue le complément essentiel à son budget de fonctionnement.

Le concert débutait dans l'intimité de ton avec les cinq pièces de Ma Mère l'Oye qui voient le jour en 1910 dans une version pour piano à quatre mains et que Ravel orchestre en 1911. Mais c'est un habillage coloré très léger que revêt chaque pièce comme pour rester à la mesure du monde de l'enfance qui est évoqué. Dans un effectif très réduit et sur le ton de la confidence, l'orchestre fait valoir le charme et la douceur de ses timbres purs – le hautbois et le cor anglais dans le Petit Poucet, la flûte « chinoise » dans Laideronnette, le contrebasson des Entretiens de la Belle et de la Bête avec une recherche de volupté auditive et de candeur toute enfantine. C'est avec beaucoup de retenue et un soin accordé au moindre cerne mélodique que conduit ces miniatures jusqu'au ravissement du Jardin féerique dont la puissance d'évocation semble définir au plus près cette esthétique du merveilleux.

Le chœur de femmes venait rejoindre l'effectif orchestral au complet cette fois pour les Nocturnes de Debussy – Nuages, Fêtes, Sirènes – deuxième partition pour orchestre – après le Prélude à l'Après midi d'un Faune – que le compositeur écrit entre 1897 et 1899. « Le titre de Nocturnes, précise Debussy, veut prendre un sens plus général et surtout plus décoratif. Il ne s'agit donc pas de la forme habituelle de Nocturne mais de tout ce que ce mot contient d'impressions et de lumières spéciales ». C'est peut-être un des répertoires les plus familiers de qui semble ici « chanter dans son arbre généalogique ». Dans une lecture toujours très analytique, il donne à la texture orchestrale de Nuages une transparence presque immatérielle qui fige l'image sonore. Dans Fêtes, le pupitre des cuivres – quatre cors, trois trompettes en fa et trois trombones – rehaussé de percussions ramène l'élan rythmique et les sonorités chaudes, « ces éclats de lumièrebrusque» qui sont projetés dans l'espace. L'épisode du cortège et son effet de « travelling sonore » au centre du mouvement est superbement réglé par le magicien des sons qu'est Pierre Boulez pour créer cette « vision éblouissante et chimérique ». « C'est la mer et son rythme innombrable » qu'introduit le chœur de femmes vocalisé ou bouche fermée dans Sirènes dont l'oreille perçoit, sous la baguette du chef, toute la richesse et l'ambiguïté rythmique. Si l'on peut regretter à certains moments-clé la faiblesse de quelques solos de cuivre mal assurés, l'orchestre fusionnant avec le chœur et comme aimanté par le geste de son chef parvient à communiquer cette puissance envoûtante et mystérieuse du Nocturne debussyste.

Avec l'Oiseau de feu donné en deuxième partie de concert dans la version du ballet intégral, Pierre Boulez parvient à capter notre écoute des premiers frémissements de la matière sonore jusqu'à la danse de Katschei. Sans jamais outrer les effets et avec une conception visionnaire de la grande forme, il fait sourdre l'énergie dans tous les pupitres de l'orchestre et maintient la fluidité du mouvement tout au long du parcours. Avec ce soin accordé à la conduite des lignes et aux dosages des sonorités, il dessine des trajectoires, génère des images pour combler tout à la fois nos oreilles et notre imaginaire.

Crédit photographique : © Horst Trappe

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