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Claude Debussy et Piero Coppola : des interprétations aussi proches que possible du compositeur

Ce magnifique album constitue tout autant un hommage au chef d'orchestre qu'au compositeur français . En effet, sur les dix-neuf interprétations proposées par Andante, neuf sont dues à ce chef.

Dès le début du 20ème siècle, la « Gramophone Company » eut le bonheur de pouvoir disposer à demeure d'excellents musiciens – chefs d'orchestre qui développèrent considérablement le répertoire discographique : en Angleterre, (1873 – 1938), ami de Chaliapine et d' (qui lui dédia son Falstaff), grava quantité de disques d'orchestre dont les plus célèbres restent ceux associés à , ou dans le domaine concertant ; en Allemagne, Bruno Seidler-Winkler (1880 – 1960) se consacra principalement à propager au disque les opéras et le chant en général (il dirigea, en 1908, les tout premiers enregistrements intégraux de Carmen et de Faust – en allemand! – avec la très célèbre soprano dramatique tchèque Emmy Destinn (1878 – 1930) dans les rôles féminins principaux) ; enfin en France, (1888 – 1971) se fit un devoir d'immortaliser sur disque la musique de son temps. Après avoir créé La Fanciulla del West (La fille du Far West) de Puccini à Bruxelles et à Florence, et plutôt que d'accompagner son ami Chaliapine dans une tournée de concerts aux USA, Coppola accepte le poste de chef d'orchestre et de directeur artistique de la filiale française de la Gramophone – « La Voix de son Maître » et s'installe à Paris en 1922. À partir de 1923 et jusqu'en 1938, il n'aura de cesse de mettre à la disposition du mélomane des enregistrements qui sont la plupart du temps des premières au disque et des modèles d'interprétation.

Jusqu'il y a peu, Coppola n'était connu que par son célèbre enregistrement où il accompagnait dans son troisième concerto pour piano (Naxos Historical 8110670). C'est oublier qu'il a gravé environ cinq cents 78 tours/min et que Ravel et Honegger lui ont laissé l'honneur d'enregistrer en première mondiale leur Boléro et Pacific 231 respectif, avant qu'ils ne le fassent eux-mêmes! Il est bien regrettable que le label français Lys (Dante) ait disparu, car une bonne partie de la discographie de Coppola y était représentée. Heureusement le label Andante avait déjà comblé une lacune partielle en nous proposant un admirable album consacré à la musique orchestrale de (réf. AN1978) où figurait en bonne place des interprétations de  ; il récidive aujourd'hui avec un coffret équivalent consacré à Debussy. Mais il y a encore tant à faire… Ayant enregistré pratiquement toute l'œuvre orchestrale de Debussy et de Ravel, il ne faut pas oublier que Coppola a commis au disque les grands noms français du 19ème siècle (Berlioz, Bizet, Chabrier, Chausson, Duparc, Gounod, Franck, Fauré, Lalo, d'Indy, Massenet, Thomas, Saint-Saëns, Bordes), ceux du 20ème siècle (Aubert, Canteloube, Caplet, Cras, Dukas, Février, Hahn, Honegger, Lazzari, Leroux, Milhaud, Pierné, Rabaud, Roger-Ducasse, Ropartz, Roussel, Schmitt, Séverac), mais également des compositeurs non français (Balakirev, Borodine, Moussorgsky, Rimsky-Korsakov, Falla, Prokofiev, Puccini, Respighi).

Toutefois, pour introduire cet album Debussy, les éditeurs ont choisi judicieusement le Prélude à l'après-midi d'un faune dans l'interprétation légendaire et incomparable du flûtiste Marcel Moyse et de Walther Straram à la tête de son célèbre orchestre qu'il dirigea de 1925 jusqu'à sa mort en 1933. Cet enregistrement reçut en 1931 le Prix Candide, le premier de l'histoire du disque. Selon la politique éditoriale originale d'Andante, certaines œuvres sont présentées en plusieurs versions, ce qui nous vaut des comparaisons on ne peut plus passionnantes : c'est le cas ici des trois Nocturnes (Coppola et Inghelbrecht), La Mer (Coppola, Désormière et Toscanini), la Petite Suite (Coppola et Büsser, son orchestrateur), la Rhapsodie pour clarinette (avec les solistes Gaston Hamelin et Benny Goodman) et Ibéria (Coppola et Reiner). Les œuvres en version unique sont La Damoiselle élue (Coppola), les Deux Danses pour harpe (soliste Marcel Grandjany), la Marche écossaise (Toscanini), Le Martyre de Saint Sébastien (Coppola), la Rhapsodie pour Saxophone (soliste Jules Viard), Rondes de printemps et Gigues (Monteux) et enfin Printemps (Coppola).

Il serait fastidieux d'analyser en détail chacune de ces interprétations qui sont toutes de grande classe, bien évidemment, mais pour les diverses versions d'une même œuvre, on peut avoir ses préférences. Les Nocturnes sont admirables, que ce soit chez Coppola ou Inghelbrecht, mais chez ce dernier, on a l'impression que les cymbales sont absentes dans Fêtes, tandis que les Sirènes sont plus détendues, lyriques et chantantes, moins inquiétantes chez lui que chez Coppola. Affaire de conception. La Mer de Toscanini a toujours été considérée comme une des meilleures versions, et pourtant on peut regretter les accentuations un peu vulgaires des cuivres à certains moments de la partition (notamment au début de la première partie) ; par contre la vision de Désormière (quel grand chef!) est d'une immense poésie toute en fines nuances et d'une constante précision, aidée bien évidemment par la merveilleuse Philharmonie Tchèque. La version de Coppola se situe entre les deux, plus proche de celle de Désormière. De même l'orchestre de Coppola semble bien plus à l'aise dans l'interprétation de la Petite Suite que celui d'Henri Büsser qui n'est pas toujours cohérent (percussion en retard), ce qui est un comble de la part de l'orchestrateur de l'œuvre! Pour le collectionneur, signalons qu'il s'agit ici de la première version Büsser (mai 1931) chez Columbia avec l'Orchestre des Concerts Straram, alors qu'il l'a réenregistrée (mieux, on suppose) par après sur un petit 25 cm Pathé (DT1014) avec l'Orchestre National de la Radiodiffusion Française – à rééditer de façon très appropriée dans « Les Rarissimes » d'EMI. Il est également curieux qu'en ce qui concerne la Rhapsodie pour clarinette, Benny Goodman dont ce n'est pas le répertoire soit plus à l'aise et plus feutré que Gaston Hamelin qui, même dirigé par Coppola, ne parvient pas à exécuter proprement certains traits rapides. En ce qui concerne Ibéria, la palme va à Reiner pour les couleurs chatoyantes et la fermeté rythmique, tandis que les raffinements subtils sont le propre de Coppola. Le harpiste franco-américain Marcel Grandjany est vraiment admirable dans les Danses sacrée et profane : d'une gamme de nuances caressantes et veloutées aussi bien que précises ou cristallines, son interprétation au phrasé souple et plastique est un enchantement de tous les instants.

Il fallait vraiment l'enthousiasme de Piero Coppola pour enregistrer dans les années ‘30 des œuvres aussi rarement exécutées que La Damoiselle élue, les fragments du Martyre de Saint Sébastien et Printemps! En toute circonstance, il se montre incomparable dans les couleurs variées de ses sonorités, La Damoiselle élue bénéficiant en outre des sopranos splendides Jeanne Guyla et Odette Ricquier. Un léger regret : Andante avait à sa disposition l'enregistrement de la Fanfare du Martyre de Saint Sébastien, puisqu'elle se trouve en complément des Sirènes par Inghelbrecht (matrice CPTX97) ; elle aurait donc pu constituer une introduction idéalement appropriée à la suite du Martyre dirigée par Coppola. Finalement, afin de compléter les deux versions d'Ibéria pour présenter une version complètes des Images pour orchestre, Andante a choisi pour l'interprétation des Rondes de printemps et Gigues : cela nous vaut des versions alliant les qualités complémentaires de Piero Coppola et , autrement dit, des exécutions parfaites. Parfaits sont également les transferts en CD de toutes ces illustres gravures, à partir d'exemplaires irréprochables.

À lire : Coppola Piero, Dix-sept ans de musique à Paris, 1922-1939 (Lausanne, 1944), éd. réimpr. Alain Pâris (Paris et Genève, 1982). Les Affres du Roi Marke et autres variations en majeur et en mineur / Agrémentées de dessins de L. Keiner (Lausanne : F. Roth & Cie, 1945).

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