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Bo Skovhus, le plaisir du chant

Programmer dans un même concert, Franz Lehar et peut sembler incongru. La valse, l'opérette viennoise contre la révolution harmonique. C'est pourtant le défi que s'est lancé le chef pour cette retrouvaille avec l'. Chose étonnante, la sauce prend ! Dans la manière éminemment lyrique d'aborder les œuvres au programme, le chef suisse rapproche les musiques de ces deux compositeurs apparemment si différents l'un de l'autre. Si la mélodie champêtre tend à dominer chez Lehar, certaines de ses orchestrations se complexifient au fur et à mesure de l'évolution de son écriture musicale. Par opposition, les premières compositions de favorisent encore l'aspect mélodique à celui de l'impressionnisme. Ainsi, ce mouvement symphonique Blumine, que Mahler pensait utiliser dans sa première symphonie, s'étend comme un pont musical jeté entre les deux compositeurs. Comme si Mahler, imprégné de la musique de Richard Strauss, n'osait se démarquer de la Vienne traditionnelle.

Ou alors faut-il chercher dans la direction d'orchestre d' les accents impressionnistes que cacherait la stricte réalité musicologique ? Reste que la musicalité dispensée par sa direction sensible dans les pupitres de l' offre un bien-être musical d'une rare élégance. Dès les premières mesures, l'orchestre se love au service du lyrisme de Lehar. Et c'est tout en rondeur que s'ouvre la splendide valse Gold und Silber op. 79. Sur son estrade, consciencieusement assis sur une chaise haute, dirige. Ouvrant largement ses bras immenses, il rassemble son orchestre sous son ampleur gestuelle. Il respire un calme réparateur. Cette sérénité le quitte bientôt. Envahi par la musique, il se relève, bondit vers l'orchestre pour le convier à plus d'investissement. La réponse est immédiate. L'orchestre se fond alors dans l'harmonie et la complicité qu'on ne lui connaît que lorsqu'il sent que la Musique est au rendez-vous.

Surgissant comme un diable hors de sa boîte, le baryton danois s'avance au milieu des violons pour entonner Da geh'ich zu Maxim de La Veuve joyeuse. Le majestueux de sa voix, affranchi de toute sophistication, s'impose comme un instant de pur bonheur. Le baryton dispense son charisme à l'envi. Non pas au-dessus de l'orchestre, mais à l'intérieur même, comme un autre instrument. La symbiose totalement réussie, c'est la complicité qui libère chacun dans la musique, pour la musique.

Finies les incursions dans l'œuvre de Franz Lehar, reprend le flambeau d'un concert parfaitement équilibré. Ainsi l'étonnant mouvement symphonique Blumine s'inscrit comme un prolongement logique à la musique de Lehar. Peut-être que le lyrisme imprimé à cette page mahlérienne par Armin Jordan est-il le fin mot de cette heureuse transition. A moins que l'admirable solo du premier trompette de l'Orchestre de la Suisse Romande, Stephen Jeandheur, n'ait été le moment de sublimation de cette musique.

Dès lors, les Lieder eines fahrenden Gesellen se profilent comme l'instant d'émotion couvrant de ses harmonies l'ensemble du concert. Entendre l'intensité avec laquelle souffle sa douleur dans les strophes de Ich hab'ein glühend'Messer envahit l'âme. Il habite la scène. Imprégné de musique, il la libère sans grandiloquence. Visiblement submergé par le plaisir du chant, il insuffle son art à l'orchestre tout entier, trop heureux de se trouver dans la musique qu'il aime. Sans contredit artisan de ce succès, Armin Jordan n'a jamais été aussi complice de cet orchestre que depuis qu'il n'en est plus le directeur musical.

Crédit photographique © : Sabine Hauswirth

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