- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Œdipe de Georges Enesco : Attention, chef-d’oeuvre !

Nous peinons à nous expliquer le manque de reconnaissance de la part du public et des programmateurs d'institutions lyriques pour l'un des plus authentiques chefs-d'œuvre du XXe siècle : l'Œdipe de .

Est-ce l'aspect faussement statique et monumental de la partition qui fait peur ? Pourtant, une seule écoute attentive emportera l'adhésion de tout mélomane de bonne foi. Un compositeur en pleine possession de son art nous offre en effet ici son œuvre maîtresse, avec une diversité de moyens et un constant renouvellement dans la forme qui sont la marque des grands maîtres. Le souffle tragique des grandes épopées se pare des plus subtiles couleurs orchestrales, la vie irrigue sans cesse les marbres antiques, l'écriture vocale et chorale dissimule une science exacte derrière une apparente simplicité, d'authentiques audaces formelles épicent une structure assez classique, le lyrisme le plus délicat voisine avec la force dramatique la plus brute. Enescu joue de la matière orchestrale comme un peintre de sa palette de couleurs ; sa palette sonore est des plus étendues et il possède l'intelligence de ne s'emprisonner dans aucun système, livrant une partition mouvante et pourtant cohérente : lugubre, héroïque et pastorale tour à tour.

Une fois encore, c'est à une scène étrangère que nous devons la réapparition d'un des joyaux de notre patrimoine lyrique, créé au palais Garnier le 13 mars 1936. Au cours de la dernière décennie, Vienne, Berlin et Cagliari ont redonné vie à un ouvrage honteusement absent des scènes francophones, que son compositeur tenait pour son œuvre la plus importante, après lui avoir consacré vingt années de travail, et qu'Arthur Honegger jugeait capable de rivaliser avec les sommets du répertoire.

Cet enregistrement nous permet de rendre hommage au remarquable baryton qu'était Monte Pederson, disparu prématurément en 2001, au terme d'une longue maladie. Dans l'écrasant rôle titre, il combine solidité et subtilité, affirmant une grande musicalité et une maîtrise plus que convenable de notre langue. Son chant expressif se pare d'un luxe de colorations et de nuances, et il glisse sans accroc de la tendresse à la fureur. A ses côtés, Marjana Lipovsek, en grande voix, prête des accents sensuels à Jocaste avant de retrouver le rôle de la Sphinge, qu'elle avait gravé sous la baguette de Lawrence Foster. C'est avec une intelligence musicale immense qu'elle sert toute l'étrangeté de cette scène fabuleusement écrite mais particulièrement périlleuse, l'un des sommets de l'expressivité lyrique. « Quand j'ai posé la plume, après cette scène, j'ai cru que j'allais devenir fou » avoua le compositeur. Le reste de la distribution témoigne encore de la qualité et de l'homogénéité de la troupe viennoise.

a réalisé un travail d'une admirable précision analytique et pourtant réellement flamboyant, veillant à la variété des couleurs orchestrales et mettant en valeur les admirables sonorités de l'orchestre de l'Opéra de Vienne dans les nombreux soli instrumentaux. Les chœurs bénéficient d'une écriture confortable pour s'illustrer à leur tour. Nous disposions d'une intégrale de studio de l'ouvrage, bâtie autour de l'Œdipe de José van Dam, plus complète que la présente édition, mais le direct apporte ici une urgence et une théâtralité qui rendent indispensable l'acquisition de cet enregistrement en parfait complément.

(Visited 2 899 times, 1 visits today)