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Franz Schreker par John Axelrod : Luxe et volupté

Progressivement, notre connaissance des compositeurs « dégénérés », mis au ban par le régime nazi, s'étoffe. Le label Decca, sous la conduite du producteur Michael Haas, s'était lancé dans une belle anthologie lyrique et symphonique. Réunissant des orchestres et des solistes prestigieux, cette série tranchait avec les productions d'éditeurs courageux mais aux résultats médiocres qui permettaient alors de se faire une idée de ces musiques. La décrépitude et les restructurations du marché du disque mirent hélas un terme à ce fabuleux projet et c'est désormais les « petits » labels : Capriccio, CPO, Praga qui sont les vecteurs de découverte de ces artistes. Cet album Nimbus (produit d'ailleurs par Michael Hass) est exclusivement dédié à des partitions chorégraphiques de . La fameuse pantomime l'Anniversaire de l'infante d'après Oscar Wilde est issue d'une commande des sœurs Grete et Elsa Wiesenthal, célèbres danseuses viennoises. Ces deux artistes quittent, en 1907, le ballet de l'opéra pour se consacrer à une nouvelle forme de danse interprétative : l'Ausdruckstanz. En 1908, elles se produisent, sous l'égide du peintre Gustav Klimt, lors de la célèbre exposition Kunstschau dédiée à l'art contemporain moderne autrichien sur la musique de cette nouvelle pièce de Schreker. Le succès est immédiat et le compositeur s'impose aussitôt comme un créateur qui compte. Les interprètes nous proposent ici la version originale pour petit ensemble ; face au succès de sa pièce, le créateur l'orchestra en 1923 pour grand orchestre, mais avec moins d'efficacité dramatique et narrative.

Les autres pièces proposées sur ce disque ne sont en rien secondaires et l'on est fasciné par l'incroyable talent d'orchestrateur de ce compositeur. Les courtes partitions comme la Valse lente ou la Festwalzer und walzintermezzo sont d'une sidérante maîtrise. L'album se clôt par la pantomime Der Wind et par Tanzspiel qui rend hommage aux formes musicales du XVIIe et du XVIIIe siècle.

Le maître de cérémonie est le jeune chef d'orchestre américain qui vient de se faire remarquer à Liège (lire ici la chronique de ce concert). Assistant de Léonard Bernstein puis élève du grand Ilya Musin, l'un des plus importants pédagogues de l'art de la direction, ce jeune chef d'orchestre qui mène une belle carrière internationale est actuellement le directeur musical de l'. Sa direction précise et narrative sert ces partitions, mais on aimerait parfois plus de souplesse rythmique et de sensualité. De plus, si l'orchestre helvète livre une prestation décente, il lui manque des timbres ensorcelants et chatoyants pour rendre grâce à ces partitions oniriques : les vents sont un peu trop verts et les cordes assez amères. La comparaison avec le seul autre enregistrement disponible de la pantomime l'Anniversaire de l'infante où officie pourtant le modeste Kammerorchester de Berlin (EDA) n'est pas flatteuse pour la phalange suisse. Enregistré dans l'extraordinaire grande salle du KKL de Lucerne, ce disque ne bénéficie curieusement pas de la prise de son que l'on était en droit d'attendre d'un tel lieu. Au final, le chroniqueur se trouve face à un dilemme, d'un côté il faut remercier l'éditeur Nimbus et les interprètes de nous offrir un tel programme qui complète de manière indispensable notre connaissance de ce compositeur, mais de l'autre, on doit regretter les différentes carences interprétatives et techniques de ce disque. Cependant, en l'absence d'autres alternatives, nous ne pouvons que recommander cette publication.

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