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Le déluge de Saint-Saëns par Yan-Pascal Tortelier

Affluence sur scène et dans le public pour ce concert gratuit « Portes ouvertes : Musique et Sacré ». Ce n'est pas tous les jours qu'est donné le démentiel Déluge de Saint-Saëns, ni le non moins torride Psaume XLVII du sulfureux – rappelons à toutes fins utiles pour notre lectorat que ce compositeur, après avoir été une figure de proue du modernisme au début du XXe siècle, a tourné à l'antisémitisme ambiant des années 30 avant de se déclarer ouvertement pétainiste.

Yan-Pascal Tortelier (fils du célèbre violoncelliste), dont toute la carrière s'est déroulée outre-Manche auprès des orchestres de la BBC, valorise au maximum l'écriture néo-classique du Déluge de . Si cette optique convient bien aux quelques mesures introductives du Prélude (le Messie de Haendel n'est pas loin), la fugue qui suit manque singulièrement de relief et de nuances, et la partie finale, avec le célèbre solo de violon, de lascivité. Donner une unité à cette partition n'est pas non plus aisé : après ce long Prélude les trois parties de l'oratorio sont aussi diverses qu'opposées. Le diatonisme franc et l'écriture stricte en imitation du premier mouvement – dévolu aux seules cordes -, avec ses sobres récitatifs s'oppose au littéral « déluge » chromatique de la deuxième partie, avant un épisode final quasiment lyrique. Les solistes n'appellent que des éloges, en particulier qui sait finement articuler ses récitatifs accompagnés de la seule harpe. Mais le triomphateur de l'œuvre reste le chœur de Radio-France, en grande forme.

Comme un antidote à ces deux partitions torrentielles, le Pie Jesu du météore musical Lili Boulanger (décédée l'année de ses 25 ans) offre un espace de sérénité, malgré son sentiment d'urgence. Ultime œuvre de son auteur, faite de chromatismes délicats et admirablement servie par la voix d', on regrettera l'inadéquation des lieux pour cette musique intimiste qui se perd dans le vaste studio 104, avec un orgue aux sonorités omniprésentes – mais vu la disposition des tuyaux face au public pouvait-il en être autrement ?

Véritable volcan musical, le Psaume XLVII reste à ce jour la seule œuvre (avec la Tragédie de Salomé) de qui voit de temps à autres les feux de la scène. Le compositeur voulait y retranscrire, par l'emploi de tessitures fortement tendues au chœur, de chromatismes issus d'un emploi de la polytonalité (si mineur, do majeur et ré bémol majeur s'y côtoient joyeusement), d'oppositions de masse dans l'orchestration et d'utilisation de métriques irrégulières (polyrythmie, mesures à 5 ou 7 temps) la joie quasi païenne des acclamations entendues lors de ses séjours au Moyen-Orient. Si la prestation de l'ensemble reste de haute qualité, force est de constater que la soliste n'a pas la voix de soprano dramatique exigée pour l'œuvre – l'orchestration souvent massive la couvre dans le médium – et que le chef par une battue trop saccadée supprime tous les effets de délire dionysiaque. La danse à 5 temps (« Frappez des mains ») reste désespérément rigide et le vaste choral à l'unisson (« Il nous a assujettis ») manque singulièrement de grandeur. Malgré ce manque de « feu intérieur » l'occasion de redécouvrir ces joyaux de la musique française était trop belle. Si vous n'avez pas pu assister au concert, ouvrez donc France-Musique lundi 17 avril à 20 heures.

Crédit photographique © : L'arche de Noé, vitrail anonyme © Eglise Saint-Etienne-du-Mont, Paris

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