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Die tote Stadt d’Erich Wolfgang Korngold, œuvre insensée

Die tote Stadt de Korngold est insensée. Quand il compose son opéra, le jeune compositeur orchestre sa partition pour une formation de plus de quatre-vingt-dix musiciens alors que l'intrigue met en scène deux personnages principaux confinés dans une chambre.

Une disproportion entre l'importance de l'orchestre dans la fosse et l'intimité du propos scénique. Deux oppositions matérielles qui auraient rebuté plus d'un directeur de théâtre de monter cet opéra. Mais à Genève….

Ainsi, l'immense et lumineux décor (Hans Dieter Schaal) et la mise en scène de , pourtant admirable conteur (voir notre critique de Galilée), passent un peu à côté du sujet. Non pas dans l'esprit de l'intrigue, mais dans la narration des scènes. Si le premier et le troisième tableau se passent dans la réalité de l'appartement de Paul, le second se situe dans son rêve. Malheureusement, sous des ambiances, des décors et des éclairages pratiquement identiques, la glissade à peine perceptible du premier vers le second tableau et le retour à peine contrasté vers le troisième déboussolent le spectateur lui faisant perdre le fil de l'intrigue.

Paul vit dans le souvenir de Marie, sa défunte femme. Au milieu des objets qui lui ont appartenu, Paul sombre dans la mélancolie. Lorsqu'il rencontre Marietta, il espère pouvoir en construire le sosie parfait de sa femme. Vaine démarche qui conduira Paul vers la folie. Il tentera alors d'étrangler Marietta pour qu'elle « ressemble mieux à la morte » ! Marietta vaincue par le spectre de Marie abandonnera Paul. Dans ce transfert psychologique commun à maints veuvages (sans toutefois toucher aux excès du livret), une part importante du déséquilibre post-mortem se manifeste dans les rêves avec la réapparition des disparus.

La chambre « musée » de Paul occupant l'entière largeur de la scène, les protagonistes courent d'un coin à l'autre de la scène, comme pour faire profiter chaque abonné de l'action. Les chanteurs pourraient ainsi se retrouver à nu sans l'efficace direction d'acteurs de . Taillé pour un chanteur athlétique, le rôle de Paul () est écrasant. À ce jeu, le ténor français s'avère à la hauteur de l'exploit même si on eut aimé qu'il s'engage vocalement plus dans la coloration des mots. Un peu terne, sa voix tend vers la monotonie. À ses côtés, la soprano autrichienne (Marietta) s'impose mieux comme actrice que comme chanteuse. Si la justesse de sa voix ne peut être mise en cause, on regrettera les quelques stridences de ses aigus. Hors ces deux rôles principaux, les autres protagonistes s'avèrent tous d'excellents chanteurs avec une mention particulière au baryton (Fritz) dont la romance aux accents pucciniens de Pierrot est un moment de pur bonheur et à la mezzo suisse Hanna Schaer (Brigitta) dont la voix semble ne jamais vouloir donner des signes de fatigue. Pour une cantatrice qui fit ses premiers pas sur la scène genevoise en 1971…!

Musicalement, l'œuvre de Korngold est déroutante. Balayée entre lyrisme à l'italienne et dissonances mahlériennes, la composition de Korngold surprend par un certain manque de caractère propre. À l'issue de l'opéra, elle suggérait d'ailleurs le commentaire d'un musicologue la jugeant « meilleure qu'une musique de film mais moins bonne que celle de Richard Strauss ». Devant cette partition qu'on sait difficile, gère admirablement les rythmes et les atmosphères musicales changeantes de l'œuvre pour en construire l'unité. Sa direction à la tête d'un excellent s'est avérée prodigieusement éclairée. En réservant un triomphe au chef suisse sans égal aux applaudissements réservés aux autres protagonistes de la soirée, le public des premières, si souvent accusé de snobisme, a démontré sinon sa connaissance, du moins son goût des choses.

Crédits photographiques : © GTG/Mario del Curto

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