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C’est Strauss qu’on assassine

Drame au Théâtre des Champs Elysées

Dès les premières mesures il est clair que l' n'est pas dans son état habituel. L'unité si harmonieuse que sait d'habitude imposer est totalement absente. Il faut même un long moment avant de réussir à pénétrer dans l'intelligence de la Musique de concert pour orchestre à cordes et cuivres de . Chose totalement inhabituelle pour l'orchestre, les pupitres ne se rejoignent pas et s'entrechoquent comme le ferait un ensemble amateur. Pris individuellement, on reconnaît cependant la qualité des différents groupes, ce qui permet aux violoncelles et aux altos de se donner avec force et anxiété dans une superbe présence lors du premier mouvement. Appuyés sur eux, les cuivres viennent agréablement achever cette partie initiale. Ce sont eux qui donneront aussi l'impulsion du second par une attaque nette et enlevée, tranchant malheureusement avec les alti décalés dans le Lento, tandis que violoncelles et trombones avancent pas à pas de leur chaude présence au milieu des cordes très approximatives dans leurs départs.

Certes nous pourrions dire bien des choses sur l'œuvre elle-même. Synthèse éclectique entre néo-baroque, d'inspiration populaire, ou lyrique, on y retrouve quelque chose de Gershwin et une impression d'Honegger. Complexe, l'œuvre a laissé le public le plus avisé plutôt perplexe. Que l'on apprécie ou non, il faut reconnaître, au-delà du contrepoint cher à Hindemith, un véritable équilibre entre les pupitres, fruit d'une orchestration qu'il aimait travailler dans ses moindres recoins. Or c'est précisément le plus gros manque de cette soirée. Il n'y avait aucun équilibrage.

Comment expliquer un tel amateurisme quand on connaît la finesse dont l'orchestre et son chef sont d'ordinaire capables ? Ce manque fut d'autant plus criant dans le Concerto pour la main gauche que l'orchestre couvrait littéralement le pianiste régulièrement inaudible. Il semble que le motorisme de Hindemith se soit transformé en mécanisme de la part des instrumentistes y compris du pianiste sans âme dans son échange avec les flûtes et les trompettes.

Le brio est si lourd et pataud que le pianiste disparaît totalement du final de l'introduction. L'interpellation entre la main gauche du pianiste et le jeu du hautbois devient une course ou chacun joue seul une partition sans intérêt. Création française, ce concerto est resté près de cinquante dans les cartons de son commanditaire, Paul Wittgenstein, qui visiblement ne l'avait pas trouvé à son goût. Comment pouvait-il apprécier cette gamme d'enfant sur laquelle une flûte incongrue vient s'écraser maladroitement sur un jeu qui visiblement semblait ennuyer jouant sans âme ni conviction. Il n'est finalement que le Basso ostinato bien tenu par l'orchestre dans le trio qui soit d'un quelconque intérêt musical. Il est clair que ni le soliste ni les musiciens n'ont trouvé d'intérêt, à défaut d'agrément, pour cette œuvre qui devrait assez vite regagner ses cartons.

En revanche, on ne peut pas soupçonner d'être ennuyeux dans son si accompli poème symphonique Don Quichotte. Sans doute l'orchestre a-t-il été démobilisé par les deux pièces précédentes. Une fois encore, s'il n'était les traits caractéristiques de Strauss, qui d'eux-mêmes nous portent au cœur du poème, l'œuvre est rien moins que méconnaissable. Les vents sont essoufflés et dépassés, le violoncelle trop sec.

Les richesses du génie de sont écrasées par un orchestre où finalement seuls les cuivres, traditionnels éléments forts de l'ensemble, restent fidèles à eux-mêmes. Le thème trop sec ne parvient pas au rendu espagnol qu'il suggère, tandis que l'archet du violoncelle, poussif et rarement net, emmanche faux chacune de ses notes, les corrigeant à l'oreille. Face à ce Don Quichotte diminué, Sancho Pança, campé par l'alto, a plus de noblesse et de chaleur. Qui mieux que sait tourner autour d'un thème bref et lui donner de multiples expressions sans en épuiser la fraîcheur ? Sous les doigts de l' ce n'est plus qu'une suite pénible et langoureuse. Tout le travail de Richard Strauss consistait à rendre ses poèmes aussi parlant qu'une prose littéraire. Ici, platitude dépourvue d'expressivité dans laquelle chacun pose bruyamment sa partie. Même les longues tenues ne sont pas stables, alors que Jean Luc Bourré se contente d'une vague technique en guise d'interprétation. Seule grâce de ce moment les quelques mesures de harpe pleine de vie et d'expression. Le temps de « la malheureuse traversée sur la barque » et l'on retrouve l'orchestre que l'on connaît. Excellence des nuances, du phrasé ; perfection de l'équilibre ; expression intense de l'interprétation. Mais la joie fut de courte durée, pour un concert qui n'avait pas grand-chose du symphonique et rien du poétique.

Alors que s'est-il passé à l'ONF ? L'impression désagréable d'un travail bâclé, d'une partition méprisée ont eu du mal à nourrir des applaudissements que seule la déférence due au grand chef permettait de soutenir quelque peu.

Crédit photographique : © Ernie Branson

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