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Harry Kupfer brosse les chemins de l’anarchie

Que doit-on admirer le plus de l'œuvre intemporelle de Bertolt Brecht mise en musique par ou de l'imagerie de cette universalité dans la mise en scène d'

Difficile de trancher quand on assiste à un spectacle d'une telle puissance. Le metteur en scène allemand raconte l'intrigue avec une ironie grinçante. Forçant le trait jusqu'à la caricature, il entraîne le spectateur à rire pour immédiatement le confronter à la réalité de cette dérive humaine.

La fuite de Leokadja Begbick, de Fatty et de Trinity Moses s'interrompt devant un panorama alpin où gisent les restes de leur hélicoptère accidenté. Centrant sa mise en scène autour de cette relique, impose cette icône de la société moderne dont l'omniprésence dans les actualités télévisées en fait un symbole de la puissance conquérante, de la domination militaire et policière, comme de la réussite sociale. L'hélicoptère se dresse en autel des aspirations de chacun. Pour dérisoire que soit son état, il s'érige en lieu saint, en temple de cette société nouvelle. L'hélicoptère est Mahagonny.

Prétexte ou narration ? En racontant l'aventure scélérate des trois hors-la-loi de Bertolt Brecht, s'offre de montrer les dérives de la parole politique et de la manipulation intellectuelle. Si l'argent, le sexe et l'alcool sont les fondements de cette farce lugubre, ils servent d'imposante émergence au texte brechtien. De la cupidité de trois repris de justice au chaos final, des maquettes suggestives du Genbaku Dome d'Hiroshima aux projections lumineuses des avions percutant les tours du World Trade Center en passant par d'autres représentations de chalets suisses et du Palais Fédéral, Harry Kupfer brosse le tableau tragique des chemins conduisant à l'anarchie.

Utilisant l'âpreté descriptive de la musique de , il plante l'œuvre dans la chair des chanteurs. Dopés par la direction d'acteurs, par l'engagement idéologique du message brechtien et par une musique souvent rude, les chanteurs, du premier soliste au dernier membre du chœur, enflamment la scène. On se bat, on s'invective, on s'embrasse, on s'enivre de plaisirs, on s'exagère dans le ballet désarticulé d'une société qui vénère ses initiateurs jusqu'au moment du décompte final. Alors, la réalité et la désillusion reprennent leur place. Tous contestent les interdictions, chacun exacerbe son égoïsme pour bientôt sombrer dans l'anarchie culminant avec une justice à deux vitesses : on exécute parce qu'il n'a plus d'argent alors que l'assassin achète son acquittement.

Si chacun s'engage dans son rôle avec une fièvre artistique de chaque instant, l'extraordinaire prestation d' () marque le spectacle. Le ténor (annoncé souffrant) crève l'écran. Emouvant aux larmes, il est dans un excès permanent, lançant ses joies, ses doutes, ses invectives, ses colères avec une conviction poignante. A ses côtés, (Jenny Hill) n'est pas en reste dans un rôle à sa mesure. Belle, garce, provocante à souhait, elle est la star du plateau. Donnant de sa personne dans une vocalité et une diction parfaites, la soprano tient là l'un des rôles les plus marquants de sa carrière. Parmi les autres protagonistes, il faut relever l'excellente prestation de (Trinity Moses) dont le jeu théâtral égale l'expression vocale, même si son écrasant rôle a raison d'une partie de ses moyens qui, dans le troisième acte, le voient moins percutant qu'aux premières mesures de l'opéra.

A relever l'excellent travail du Chœur de l'Opéra de Berne se jouant d'une partie chorale pleine d'embûches. Un travail admirablement soutenu par un Berner Symphonie-Orchester en verve sous la direction efficace et précise de .

Crédits photographiques : © Philipp Zinniker

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