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Barbant et Isolde dans une mise en scène de Yannis Kokkos

Les productions wagnériennes se suivent sans se ressembler à la Monnaie. Après le Tannhäuser iconoclaste mis en scène par Jan Fabre il y a deux saisons, et le Vaisseau Fantôme insignifiant de Guy Cassiers l'année dernière, c'était au tour de de proposer au public bruxellois sa vision de Tristan und Isolde.

Cette vision est, sans surprise, radicalement différente de celles de ses collègues belges, Kokkos cherchant avant tout à présenter l'action de façon lisible, dans un décor épuré, collant au plus près aux indications du livret. Ces belles intentions donnent cependant un résultat inégal selon les actes, car Kokkos se contente trop souvent de donner un cadre à l'action, mais sans l'animer, et les images fortes et marquantes sont rares. Le premier acte est globalement le plus réussi, bénéficiant pleinement de la simplicité de conception de cette mise en scène, et d'un superbe travail sur les éclairages de Patrice Trottier, qui règle autant les ombres que les lumières, et crée des atmosphères très prenantes. Le deuxième acte est bien moins convaincant, souffrant beaucoup du statisme habituel aux mises en scène de Kokkos. Le duo Tristan-Isolde est froid, peu sensuel et distant, et Tristan le passe en majorité couché sur le dos. John Keyes n'étant pas un modèle de sveltesse, les spectateurs du parterre ont une vue imprenable sur son ventre, pointé vers le ciel, qui se découpe sur l'horizon. L'arrivée de Marke apporte peu d'agitation : toute sa suite reste pétrifiée, la confrontation entre Melot et Tristan est terriblement peu animée, il ne se passe en fait quasiment rien sur scène, et les chanteurs semblent souvent laissés à eux-mêmes dans de jolis décors. Le dernier acte suscite les mêmes impressions : lenteur, immobilité, austérité. Tristan und Isolde n'est certes pas un opéra très mouvementé, mais à ce stade, ce n'est plus du hiératisme, c'est de la paralysie, et malgré la musique, il devient lassant de regarder la même chose pendant de longues demi-heures où le temps semble s'arrêter. Cette mise en scène n'a choqué personne, mais elle en a fait bailler plus d'un.

Les protagonistes ne sont pas vraiment aidés par les costumes : ceux des dames sont passables, de longues robes sans formes, mais qui ne détonent pas. Les hommes sont pour la plupart habillés de vêtements sombres et tristes, longs imperméables et pulls à col roulé qu'on a l'impression d'avoir vu cent fois. Tristan a droit à un traitement spécial : il entre en scène voûté, l'air las, et porte un long manteau informe sur un T-shirt douteux. John Keyes n'est certes pas un Apollon, mais il devrait y avoir moyen de lui donner meilleure allure ! Que peut bien trouver Isolde à ce type mal famé, aux cheveux longs et gras, qui a l'air d'avoir tout juste sorti les poubelles ? Heureusement il reste le philtre d'amour…

Les errements de cette mise en scène auraient pu être moins visibles si la partie musicale avait été transcendante, mais il faut déplorer une distribution moyenne, malgré un couple d'amants plutôt honorable. Irène Théorin est une Isolde au chant sain et solide, à la voix puissante et endurante. Elle est cependant un peu à la peine dans les aigus, et son incarnation est assez scolaire et distante. C'est propre, mais il n'y a guère de flamme ni de poésie chez cette Isolde. Vaillant Siegmund il y a quelques années à Amsterdam, John Keyes n'est pas le Tristan idéal : la voix est trop grave, l'émission est presque celle d'un baryton, et pendant un instant, à son entrée au I, on se demande si ce n'est pas Marke qui est arrivé trop tôt. De plus, les montées vers l'aigu sont difficiles, et la voix manque de soutien. Néanmoins, il fait preuve de courage, et s'améliore au fil de la soirée, réussissant à alléger l'émission et à rendre le chant plus précis et moins rustique, et même à émouvoir lors de son agonie. En Brangäne, fait valoir un timbre joliment coloré, mais son chant manque de puissance, et elle peine à passer l'orchestre. est un Roi Marke solide, mais qui se laisse aller à des effets expressionnistes assez déplacés. Il faut encore supporter un Kurwenal pâteux, au vibrato digne d'un marteau piqueur et dont on ne saisit pas un traître mot, et un Melot mal chantant, à la voix aigre comme du citron.

Finalement, le seul triomphateur de la soirée est Kazuchi Ono, qui confirme qu'il est un des meilleurs chefs wagnériens du moment, en proposant une direction qui allie transparence et passion dès le prélude, et ne relâche jamais la tension. Comme souvent avec le chef japonais, drame et exaltation sont dans la fosse quand le plateau déçoit. Sous la conduite de son directeur musical, l'Orchestre de la Monnaie gagne comme d'habitude en assurance, en cohésion et en beauté de timbres. Hormis quelques faiblesses des cuivres, la formation bruxelloise fut magnifique.

Crédit photographique : © Johan Jacobs

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